Théâtre
“Mon ami n’aime pas la pluie”, une pièce à fendre l’âme  de Paul Francesconi au Tarmac

“Mon ami n’aime pas la pluie”, une pièce à fendre l’âme de Paul Francesconi au Tarmac

31 May 2018 | PAR David Rofé-Sarfati

La pièce fut une des découvertes du foisonnant festival Théâtre en Mai de Dijon, Mon ami n’aime pas la pluie de Paul Francesconi est une invitation à un rêve et à une flottante réflexion sur la question de l’Autre. Elle est aussi une pièce poignante dont on ne sort pas indemne. 

Paul Francesconi a écrit en 2015 ce premier texte dramatique, aussitôt publié et primé. Le jeune Réunionnais le met aujourd’hui en scène en équipe avec deux vedettes multiprimées, la Burkinabée Odile Sankara et l’Ivoirien Fargass Assandé.

Une pièce hypnotique qui commence comme un conte.

Sur une île ou un rocher,  isolés du monde Nel et Dom se querellent. Dom, le mari, armé de son fusil est le garant du lieu tandis que Nel, sa femme, regarde ailleurs et pense ailleurs. Ce quotidien est intrusé par un étranger, Ram. Son arrivée amène la pluie et l’eau fait pousser les fleurs du sol. Fargass Assandé (on se souvient de son excellent Estragoninterprète le mari; par sa voix caverneuse et son physique terrien, il incarne un personnage imaginaire tout aussi proche de nous que déréalisé.  Michel Bohiri, Ram (il fut Vladimir avec le même talent dans le même En attendant Godot) propose une partition également fictionnelle; il semble être à peine humain, Yaya Mbile Bitang avec brio défend un personnage de femme solide et puissante en même temps que fragile, inquiète et parfois terrorisée; une femme envoûtante et attachante à la fois. Le décor et la scénographie finissent de fabriquer ce que les trois talentueux comédiens inventent et qui pourrait se décrire comme un irréel chant allégorique. La pièce est hypnotique. 

Un texte richissime de sens.

La langue est simplifiée, véhiculaire, car elle veut imiter la banalité. Cette langue faussement pauvre enferme toute la richesse du texte; ainsi chaque parole, chaque mouvement, chaque motif de mise en scène acquiert une multitude de sens du littéral au plus imaginaire, de la métaphore symbolique à la simple trace allusive. La pièce nous prend par surprise en une expérience de pétrissage de nos pensées et de nos âmes.  Les questions sans réponse défilent en nous alors que l’intrigue poursuit son chemin. Comment Ram est-il entré? Existe-t-il vraiment? Qui est cet étranger qui dérange le couple? D’où vient cette eau qui féconde en même temps qu’elle noie?

Dans un univers à la frontière de l’imaginaire les innombrables réponses possibles nous colonisent. Par ce débordement sémantique, nous ressentons ce qui circule entre les personnages : l’amour, et ce qui constitue cet Autre : l’étrangeté. La pluie, pulsion de vie nous sauve de cet embrasement. Lorsque les époux balaient le sol inondé d’eau, la banalité du geste confine à une humanité redoutable. Le récit est une allégorie politique si actuelle des rapports Nord-Sud par l’arrivée de l’étranger en territoire familier. Il est aussi une allégorie de l’intime d’un couple, par le mystère de cet Autre que le couple invente pour exister, l’enfant à naître, ou celui qui ne naîtra jamais ou l’enfant avorté.

Le spectacle hypnotique est  bouleversant, car multi strates où chaque interprétation nous explose à l’oreille et à l’âme. On ne sort pas facilement ni indemne d’une telle parole.

 

Texte Paul Francesconi
Mise en scène Fargass Assandé, Paul Francesconi, Odile Sankara
Avec Fargass Assandé, Michel Bohiri, Yaya Mbile Bitang

Crédits Photos © Tristan Jeanne-Valès

Du 31 mai au 2 juin 2018
Festival Ambivalence 2018 à la Comédie de Valence – Centre Dramatique National

Du 6 au 8 juin 2018
Le Tarmac –Scène Internationale Francophone à Paris

Infos pratiques

Comédie Framboise
Compagnie l’Héliotrope
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