Alain Françon à l’Odéon : une Fin de partie dans les règles de l’art
Fidèle à sa volonté de programmer à l’Odéon un théâtre européen et exigeant, Luc Bondy a convié Alain Françon à remonter une des plus célèbres pièces de Beckett, Fin de partie.
Dans les pièces tendues, sur le fil du rasoir, qu’écrivait Beckett, l’intrigue se résume souvent à portion congrue. Soit un huis clos entre Hamm, aveugle et paralysé, et Clov, son souffre-douleur crasseux et désarticulé, qui ne peut plus s’asseoir – dérangés parfois par les apparitions hallucinées de Nagg et Nell, les parents de Hamm.
Seulement tout se complique à la lecture des didascalies, infratexte omniprésent et sursignifiant chez Beckett, auquels il tenait comme à la prunelle de ses yeux. Quelle marge de création peut donc s’autoriser un metteur en scène, dans ces conditions ? Avec l’humilité de ceux que l’assurance rend modeste, Françon s’est entouré d’acteurs de choix, venus le seconder dans cette tâche ardue : travailler le texte de Beckett comme une partition de musique, s’efforcer d’en révéler la force mesure par mesure, en réservant le beau rôle à la prosodie.
La longue scène (une journée, une éternité ?) qui se joue sous nos yeux déroule sans anicroche sa logique implacable : en fin de partie, aux échecs comme dans la vie, c’est quand il n’y a plus rien – soit tout – à perdre, que la partie prend tout son intérêt. Et à travers le jeu puissant et sensible de Serge Merlin, c’est Hamm qui joue son va-tout, dans une comédie cruelle mais sans doute vitale qui l’engage à pousser à bout un Clov désabusé, tenu par des chaînes invisibles plus lourdes que le fauteuil de Hamm. La partie qui se joue, c’est celle, terrible, des liens d’interdépendance qui unissent deux créatures déjà frappées du mal “sans remède” de l’existence, et qui de surcroît ne peuvent plus compter chacune que sur l’autre.
Et que dire de ces parents fantomatiques, narquois, démunis, mais cupides et affamés ? La facétie de Michel Robin fait merveille, et sa jubilation à jouer dans cet univers qui n’a d’absurde que le nom tant il semble nourri d’humanité ,fait plaisir à voir.
Ne nous reste plus qu’à souligner la qualité de la mise en lumière (Joël Hourbeigt), qui apporte une subtile modulation à un décor par ailleurs imposant et monolithique.
Crédits photographique © Pascal Victor
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