Théâtre
Actrice, la déclaration d’amour allégorique de Pascal Rambert

Actrice, la déclaration d’amour allégorique de Pascal Rambert

14 December 2017 | PAR Yaël Hirsch

Créée à l’origine pour Eugenia Dobrovolskaia au Nouveau Théâtre de Moscou, Actrice est arrivé en version et distribution françaises au Théâtre des Bouffes du Nord où Pascal Rambert est artiste associé depuis janvier 2017 et où il avait mis en scène cinq de ses pièces en juin 2015. Autour de Marina Hands incarnant l’Actrice (avec un A majuscule), acteurs et fleurs se meuvent et s’émeuvent dans des scènes palimpsestes où la finesse du jeu et de la mise en scène se confronte à un texte très explicite. La beauté est là, mais l’émotion ne prend pas.
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La grande actrice Eugenia (Marina Hands) est condamnée par une maladie mortelle. Allongée dans un lit d’hôpital parmi les monceaux de fleurs que ses fans et admirateurs lui ont dépêchés, elle vit comme un dernier acte la fin d’une existence trépidante, sous l’œil attentif de ses parents (Ruth Nuësch et Emmanuel Cuchet), dans la tendresse alcoolisée de son metteur en scène de mari (Jakob Öhrman). Auto-centrée, elle est assez indifférente à la rage apeurée de sa fille (Lyna Khoudri) ainsi qu’au renfermement désespéré de son fils. Sa sœur aussi est là : la dure Ksenia (Audrey Bonnet) partie sans se retourner faire fortune au Montenegro, est réapparue pour l’entourer dans ses derniers instants… Et bien sûr les amis du théâtre se succèdent au chevet de la malade… L’occasion non pas tant de régler les conflits du passé mais – beaucoup plus important pour Pascal Rambert- de trouver les mots justes pour décrire la nature véritable et sacrée de l’actrice, avant qu’elle ne meure.

Quand le public entre dans le cocon magnifique des bouffes du Nord, Marina Hands repose, comme la Traviata (qu’on y a entendue il n’y a pas si longtemps) dans un lit d’hôpital parmi un parterre époustouflant de fleurs. Le décor, comme la mise en scène seront toujours grisants de beauté et de sensibilité, tout au long des 2:20 de spectacle. Alors que l’issue de l’intrigue ne fait pas de doute, dès le début, l’enjeu est ailleurs… Actrice est une pièce très référentielle qui étale comme des pétales d’Art Nouveau les grands rôles de femmes tragiques du 19ème siècle : La Dame au Camélia ou Nina dans La Mouette. Le texte, Rambert se veut aussi auto-référentiel, comme un patchwork partiel de son œuvre (on y trouve des échos de Argument, ou Répétition…).

Ici, les personnages (tous bien bâtis) et même la magique allégorie des fleurs ne sont que des prétextes et des circonvolutions autours de ce point nodal : Qui est Actrice? Rambert répond et théorise : L’actrice, c’est celle qui va faire jaillir les lacs de larmes d’une nation, dit le père, c’est celle à qui l’on dit de prendre une chaise et de parler, dit le vieux maître Alexander (Luc Bataïni), tous deux doubles de Rambert. C’est celle aussi qui s’enfonce et s’oublie dans le rôle auquel elle dédie tout et pour qui jouer est le plus important. Le théâtre aussi fort que la mort, mais le théâtre plus fort que l’amour….

Tout ceci est beau, fort et dit. Mais est peut-être également trop répété avec sentence,dans une sentimentalité des acteurs qui oscille entre raison et déraison. En entendant Mozart résonner sur le phonographe en scène finale, l’on comprend qu’on est perdu entre deux eaux : Soit l’on est dans une “pièce russe” comme le dit Rambert et alors d’accord pour aimer avec pitié : va pour les monologues éplorés des parents et de la sœur. Soit l’on est dans une pièce allégorique sur le théâtre (“elle excède l’idée que c’est une pièce russe“) et alors on se dit que l’on excède peut-être plus La Cerisaie que La Mouette

Quand Rambert clôture cette vieille maison de famille qu’est le Théâtre, l’alternance de naïveté et de théorie dans son texte étouffe notre émotion. Une émotion qui, dans un souci de cohérence au titre et au propos, aurait dû ou du moins pu être à la hauteur du jeu brûlant des acteurs et à la beauté de la mise en scène….

visuel (c) Jean-Louis Fernandez

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