Théâtre
[4×11] : 4 metteurs en scène et 11 comédiens de l’ENSAD font l’intégrale au Printemps des Comédiens

[4×11] : 4 metteurs en scène et 11 comédiens de l’ENSAD font l’intégrale au Printemps des Comédiens

12 June 2016 | PAR Yaël Hirsch

Jusqu’au 25 juin, dans le Cadre du Printemps des Comédiens, un soir par semaine puis en intégrale le samedi, avec “4×11“, 4 metteurs en scène de générations différentes font travailler 11 étudiants de dernière année de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Montpellier (ENSAD). Alain Françon leur fait jouer des fragments de Botho Strauss sur le couple, Robert Cantarella reprend le mythique fi m de Jacques Rivette, Out one, Jean-Pierre Barro propose le classique de Büchner, La Mort de Danton et le directeur de l’ENSAD, Gildas Milin fait jouer au 11 comédiens l’un de ses textes NNN. Le tout forme une fresque protéiforme, amenée à tourner dans toute la France et qui révèle plusieurs facettes du grand talent des comédiens. Un objet théâtral non-identifié et tout à fait passionnant que nous avons suivi en intégral de 14h à 1h ce samedi 10 juin au Théâtre du Hangar, en plein cœur de Montpellier.

Longtemps laissé à l’abandon, ce Théâtre vient d’être remis en service et repris par l’ENSAD. La chaleur s’y est engouffrée toute la journée, donnant au marathon de l’intégrale un caractère plus que chaleureux. Mais le bar, joyeusement achalandé distribuait des bouteilles d’eau à foison pour 30 centimes… La journée a également été marquée par un tout proche festival de fanfares qui mettait l’animation de la grosse caisse à portée d’oreilles et des assiettes d’huîtres goûteuses à disposition, entre deux pièces. Bref, l’ambiance était conviviale et invitait d’autant plus à se concentrer sur le travail forcené des étudiants de l’ENSAD.

Le néo-classicisme évocateur d’Alain Françon
C’est à 14h00 que l’intégrale a commencé, devant une salle compacte pour deux heures de texte fort sur le couple. Tout commence par Aristote et se termine par le fragment éponyme de Botho Strauss où une femme quittée fait la plus belle déclaration de lien éternel à l’homme qui en épouse une plus jeune. Côté mise en scène, « Personne d’autre » joue avec Françon la carte de la sobriété élégante pour mieux porter un texte fort : tandis qu’ils attendent un spectacle de cabaret qui ne vient jamais trop, les 11 comédiens de l’ENSAD élégamment vêtus se contentent de 12 chaises bordeaux et d’un écran où les mots les plus forts de Botho Strauss sont répercutés pour se relayer dans un bal fou où l’amour, le sexe, la solitude, la séparation, le chagrin, la tendresse et la manière dont le couple est la base de toute société se disent. Le texte fuse, brillant, les comédiens sont habités et on sort de cette parade amoureuse de l’amour et lucide sur le couple avec bien des réflexions en tête et en même temps le sentiment de beau et d’accompli. Une toute belle réussite qui signe un quasi sans faute (quelques trous de mémoire bien excusables !) pour le premier round de l’intégrale.

La liberté de Rivette revue par Robert Cantarella
A 16:45, place à un hommage et à une variation sur la liberté du long et vivace Out One, de Jacques Rivette qui met en scène in extenso une troupe de comédiens créatifs, jeunes et séduisants. Avec Robert Cantarella (présent sur scène) les étudiants de l’ENSAD passent à un tout autre type d’exercice, où les variations et les impromptus sur le texte de Stéphane Bousquet sont bienvenus. Dans « Monstres », chacun porte un T-shirt blanc où est écrit son nom ou sa fonction et l’extravagances des jeux de rôles est de mise, qui nous fait découvrir, toutes lumières allumées, d’autres talents, voix et visages à des comédiens qu’on avait tout d’abord vu négocier leurs sentiments et leurs relations. Un joli moment de liberté très seventies.

Révolution toujours, mais avec sensualité : Jean-Pierre Barro revisite Büchner
A 20:00, changement d’ambiance avec une pièce grave sur l’histoire. Alors que les étudiants de l’ENSAD voulaient aussi travailler un texte classique, Jean-Pierre Baro a choisi judicieusement la mort de Danton de Georg Büchner (1835, traduction : Irène Bonnaud). Avec un éclairage sublime et des acteurs au top de l’implication, Baro a génialement joué sur l’élégance d’une scénographie et de costumes sobrement gris mais relevés par du rouge, quelques chansons (“Il n’y a pas d’amour heureux”, “Septembre” de Barbara et des illustrations a la Picasso). N’hésitant pas à demander à ses ouailles une sensualité et une nudité vraiment troublantes, le metteur en scène fait progresser l’intrigue de la démission individualiste et libertine de Danton a une leçon grave de philosophie de l’Histoire. Si les références vidéo au Printemps Arabe ont déjà pris un sacré coup de vieux, l’utilisation de toute la salle pour scène, le piano en arrière plan et un sympathique moment d’improvisation des acteurs atout d’une bière sont autant de respirations qui modernisent agréablement une pièce qui résonne encore très fort. Un très beau moment de théâtre, à la fois sobre et corporel, politique et esthétique que la salle a applaudi à tout rompre après 2 heures de machine inexorable qui nous a surtout parlé de liberté !

Le futurisme dansé de Gildas Milin
Tout doucement, les horaires de début de spectacle se sont décalés et l’on entame le quatrième round de l’intégrale à 22h45 avec à la mise en scène et au texte, le directeur de lENSAD et dans des combinaisons noires moulantes dans lesquelles ils ont du étouffer de chaleur (ils devaient être plus à l’aise nus ou en caleçon dans le Danton), des étudiants de l’ENSAD toujours au maximum de leur énergie. Ecrans, néons et chorégraphies menées par la charismatique Kyoko Takenakas sont le fondement de « NNN », fable futuriste qui met en scène un camp de formations de robots « artistes ». La réflexion politique sur une disruption robotique et un transhumanisme qui irait jusqu’à l’art sont un peu lourdes, mais le proto-langage, les cris et les chorégraphies sans musique de cette longue pièce moderne de 2h30 en font un joli spectacle pour les yeux.

Le public a ri, plus dispersé à cette heure tardive et l’intégrale s’est finie à 1 heures du matin dans un fourmillement d’applaudissement acclamant le travail fou, acharné, extraordinaire des étudiants de l’ENSAD. Chapeau bas pour cette performance amenée à tourner en intégrale dans plusieurs théâtres en France dont La Commune d’Aubervilliers.
visuels : photo officielle

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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