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Sublime de maîtrise à la confluence des genres: “Encore une heure si courte” du Théâtre du Mouvement pour deux soirs au Vingtième Théâtre

Sublime de maîtrise à la confluence des genres: “Encore une heure si courte” du Théâtre du Mouvement pour deux soirs au Vingtième Théâtre

13 October 2015 | PAR Mathieu Dochtermann

C’est à un spectacle total, bien que sans paroles, que Claire Heggen et le Théâtre du Mouvement nous convient dans Encore une heure si courte. Les trois interprètes tissent sous les yeux du public un spectacle à nul autre pareil, à la croisée des chemins, riche des apports de quantités de disciplines différentes, mais supérieur à la somme de ses partie. Un rêve loufoque, une traversée poétique, un travail d’une précision absolue.

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Ce n’est pas pour rien que Claire Heggen a été récompensée au dernier Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes. Son travail exigeant, sa recherche incessante depuis de longues années, ont forgé au fil du temps une maîtrise qu’elle met au service d’un talent certain. Encore une heure si courte, spectacle créé il y a 25 ans, repris les 12 et 13 octobre à Paris à l’occasion des 40 ans du Théâtre du Mouvement, démontre tout le génie de la metteuse en scène.

Sur le plateau, des cubes et des parallélépipèdes de bois, peints en blanc à l’extérieur – on découvrira qu’ils ont une face ouverte, et sont peints de rouge à l’intérieur. Des voix résonnent, s’appellent, se répondent, dans un langage inarticulé. Des choses bougent. Le monde se met en mouvement, sous un éclairage qui le découpe avec précision.

C’est une traversée précaire, tantôt onirique, tantôt délirante, toujours poétique, qui attend les trois hommes qui sortent des boîtes. Poursuivis par des bruits inquiétants, les trois personnages se mettent en branle, explorent leur environnement, souvent au bord d’un déséquilibre qui se rattrape in extremis, parfois avec une maladresse feinte, souvent avec beaucoup d’humour. Il n’y a pas d’histoire, et on est pourtant accroché. Il n’y a pas de texte, mais il y a des paroles, d’une langue étrange, où l’on croit discerner parfois un sens, et qui vient rythmer les évolutions physiques et psychologiques des personnages. Le voyage est intérieur autant qu’il se déploie dans l’espace scénique. C’est incompréhensible, mais peu importe, car c’est sensible : il n’y a rien à comprendre, beaucoup à voir, autant au moins à ressentir.

Il faut saluer la performance extraordinaire des trois interprètes, Pau Bachero, Albert Mèlich, Alejandro Navarro, qui se plient avec talent à un exercice qui ne relève d’aucune discipline précise et de beaucoup à la fois. La vocalisation oscille entre chant, parole déclamée et onomatopées rythmiques. Le déplacement confine parfois à l’acrobatie, souvent au numéro d’équilibriste, en passant par des phases presque dansées. Avec une présence scénique impressionnante, privés de parole intelligible, par un travail de masque et d’attitudes millimétré, les trois artistes projettent une force émotionnelle palpable. Rien n’échappe au spectateur alors que rien n’est fléché, que rien n’est évident. C’est une prouesse.

Tout est maîtrisé, alors même qu’aucun effort ne transparaît. Le rythme est parfait, sans aucune faute. Les déplacements, le moindre mouvement sont chorégraphiés et exécutés avec minutie. Chaque interprète a une parfaite maîtrise de son corps dans l’espace, et une parfaite attention à la position de celui des autres. Un travail d’une telle qualité, d’une telle précision, qui a au demeurant l’élégance de se faire presque invisible, doit être salué.

Un tour de force, une œuvre de beauté, ciselée, fine, subtile, traversée d’une énergie de vie incroyable, c’est ce à quoi convie ce spectacle, à découvrir ou à redécouvrir encore mardi 13 au Vingtième Théâtre. Un voyage dans l’irréel, une promenade visuelle à ne pas se refuser.

Mise en scène Claire Heggen
À partir des textes musicaux de Georges Aperghis
Avec Pau Bachero, Albert Mèlich, Alejandro Navarro
Musique intermédiaire et conseil musical : Richard Dubelski
Lumières : Etienne Dousselin
Costumes : Jean-Jacques Delmotte

Infos pratiques

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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