Performance
Séance d’épuisement collectif avec “The Dog days are over” de Jan Martens

Séance d’épuisement collectif avec “The Dog days are over” de Jan Martens

28 January 2016 | PAR Simon Gerard

Avec The Dog days are over, Jan Martens fait le pari de captiver son public avec un seul et unique matériau : le saut. Le pari est à moitié réussi : la captivation a bien lieu, mais se fait au prix d’un double épuisement du public et du spectateur. On ressort perturbé de cette performance, avec le vague souvenir d’un moment poétique magistral enfoui au mitan du spectacle entre deux couches de chorégraphie aux allures d’entraînement militaire.

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   C’est par une curieuse cérémonie d’enfilage de chaussettes et de chaussures que débute The Dog days are over. Huit jeunes acteurs au fond de la scène avancent déterminés vers leurs paires respectives, alignées au centre du plateau. Chacun enfile religieusement son attirail, et effectue quelques mouvements d’échauffement comme pour préparer un marathon. Puis les acteurs font silence pendant quelques minutes, regardant droit devant eux : une séance de méditation quelque peu nécéssaire, puisqu’une fois terminée, c’est pendant plus d’une heure que la poignée d’hommes et de femmes sautillera, encore, sans arrêt,  jusqu’à épuisement, dans un rythme effréné et en vue de créer toutes les figures scéniques possibles et imaginables. En long, en large, en travers, en avant, en arrière, à pieds joints ou à cloche-pied, le saut est le matériau primordial qui compose cette étrange chorégraphie.

   Il ne faut pas s’attendre, pour autant, à ce que les danseurs sur scène jouent avec la gravité et impressionnent le spectateur par un enchaînement de figures inconcevables ; non, tous ne font plus ou moins que sautiller. Mais ce spectacle donne pourtant le vertige, tant les mouvements qui le composent sont précisément et rigoureusement effectués. Le rythme est uniforme et soutenu, entêtant et finalement obsédant. Aucune musique ne vient agrémenter la chorégraphie, sinon celle, étrange, des semelles contre le bois grinçant du plateau.

   Difficile donc, malgré les leggings et shorts colorés que portent les danseurs, de ne pas trouver cette performance aride. Les vingt premières minutes se déroulent sous une lumière crue qui donne à la performance artistique des allures d’exercice sportif, épuisant pour les acteurs comme pour le spectateur, qui ne trouve aucun élément de la scène sur lequel reposer son regard, ni de moment de répit sonore.

   Un double désir de libération naît chez le spectateur au fil de ce premier moment agaçant du spectacle. Libération de l’uniformité du groupe d’une part : tous les performeurs effectuent le même mouvement en même temps, et sont répartis sur le plateau selon un principe de symétrie extrêmement rigoureux. Et libération du rythme et du tempo d’autre part : par moments, un des danseurs crie « time », et les autres lui donnent aussitôt un nombre correspondant à leur mesure sur la partition rythmique. Le groupe semble ainsi condamné, dans le temps comme dans l’espace, à suivre une implacable mathématique du mouvement. Ces libérations auront bien lieu, mais uniquement de manière fugitive : tout silence précède un nouveau rythme entêtant, et toute prise de liberté d’un acteur n’est en réalité qu’une équation virtuose sur la partition collective.

  Une accalmie magistrale point néanmoins au beau milieu de la performance, comme l’oeil inerte d’un cyclone. Tandis que les danseurs continuent de sauter sur place en brassant frénétiquement de l’air avec leurs bras et leurs jambes, le noir se fait doucement scène, et un morceau de guitare classique commence à résonner. Leurs gesticulations dans l’obscurité, fascinantes, donnent au spectateur l’impression d’avoir en face de lui une étrange photo floue. Le repos visuel et sonore qu’apporte cette vision presque hypnotique est d’autant plus plaisante qu’elle naît d’un long moment de frustration. Le spectacle pourrait s’arrêter là…

   … Mais il faut que les sauts reprennent, toujours aussi précisément effectués, toujours aussi spectaculaires dans leurs enchaînements. Mais spectaculaire ne veut pas dire beau ; et l’on regrette déjà ce doux moment passé dans le noir avec une troupe que l’obscurité a immobilisée pour quelques minutes.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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