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“Dans la peau de Don Quichotte”, de l’actualité d’une figure de légende recyclable à l’infini

“Dans la peau de Don Quichotte”, de l’actualité d’une figure de légende recyclable à l’infini

26 January 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Le Nouveau Théâtre de Montreuil accueille jusqu’au 10 février la dernière création de La Cordonnerie, Dans la peau de Don Quichotte, comme il avait accueilli Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin. Un spectacle dans la lignée de ce que sait – bien – faire cette sympathique compagnie: du ciné-spectacle où un film muet est mis en sons en direct, tandis que les acteurs se dupliquent entre écran et scène. Extrêmement ludique, le (re)traitement de l’histoire de Cervantès permet d’en souligner l’actualité. Le spectacle démarre très fort, puis s’enlise malheureusement dans quelques longueurs. Tout-à-fait fréquentable, néanmoins.

[rating=4]

Les dérèglements du monde ont-ils une incidence sur les plus fragiles d’entre nous? La solitude, et les errements d’un esprit prisonnier du fantasme d’un amour platonique inavoué, peuvent-ils plonger un homme dans un délire éveillé? Qu’advient-il de nos rêves, quelle est la puissante des mythes?

Ce sont ces questions, entre autres, que cette adaptation du Don Quichotte de Cervantès en ciné-spectacle va soulever, montrer, et peut-être en partie résoudre. Tout commence par une courte introduction où Métilde Weyergans, à la fois metteure en scène et comédienne dans ce projet, nous en explique la genèse, dans une sorte de méta-spectacle qui met en scène la découverte, au fond d’un carton chiné par hasard, la découverte du scénario d’un film jamais tourné. Il est amusant de voir que ce point de départe de l’inspiration tombée du ciel, sur un marché aux puces, a pu inspirer des spectacles sortis au même moment, avec des techniques semblables, et des résultats si différents: difficile de ne pas faire un rapprochement avec Vies de papier de la Cie La bande passante (notre critique). Ici, on projette un film entièrement muet et entièrement fictionnel, où tous les plans sont joués par des acteurs. Le jeu consiste à faire la bande son complète en direct – dialogues, musique, bruitages – et à ce que les comédiens en scène interagissent avec leur alter ego filmé.

Globalement, le thème est traité avec beaucoup d’humour, même si cela n’empêche pas quelques moments de pathos ou de vraie profondeur dramatique, notamment quand Michel/Don Quichotte se lance dans un monologue où il crie son amour tout autant que sa frustration, sa détermination autant que sa folie rageuse. En filigrane, la solitude, les jeux du pouvoir, l’amitié, l’emportement de l’amoureux platonique, la force des rêves et l’emprise qu’ils peuvent avoir sur la réalité. C’est un matériau beau, dense, et traité avec une relative finesse.

C’est un spectacle où une grande partie du plaisir vient de l’observation du travail de bruitage, de ses astuces parfois amusantes. Les cartons contenant les objets servant aux bruiteurs arrivent sur une sorte de petite navette. On est toujours un peu dans l’anticipation de quel son va être utilisé, de quelle voix les comédiens vont prendre pour tel ou tel personnage. Il faut évidemment beaucoup de talent aux bruiteurs-comédiens pour se souvenir de tout, être toujours synchrones, mais tout cela est invisible aux yeux du public, qui se régale juste de la performance – et c’est très bien comme ça.

Le travail sur la musique doit être salué, puisqu’elle est faite en directe, et tout le long du spectacle, principalement par deux musiciens qui arrivent à tisser de très belles ambiances aux séquences. Tantôt planante, avec des airs de London Grammar, tantôt entraînante, la bande musicale apporte un support d’une qualité constante à ce qui s’élabore sous les yeux du public, y ajoutant une dimension artisanale, et donc un plaisir, supplémentaire.

On regrette parfois un tout petit peu les performances de certains comédiens, à l’écran plutôt que sur scène, qui ne sont pas toujours au niveau du reste de la distribution. Et on doit confesser que la voix sifflante et fatiguée du comédien jouant Michel devient fatigante sur le long terme. Surtout, après un démarrage fort prometteur, très émouvant, avec des personnages très justes et des situations bien campées qui se succèdent rapidement, le spectacle s’alanguit dans une séquence en vue subjective qui manque de lisibilité et de nervosité. Le spectacle ne réussit pas à surmonter le passage d’un regard tendre sur le quotidien de gens ordinaires, à un regard frontal sur un homme qui sombre dans une folie obsessionnelle. Il est dommage que ce petit moins bien vienne gâcher le plaisir.

En résumé, une belle idée, plutôt bien exécutée, qui ne révolutionne pas le genre techniquement mais permet de passer un agréable moment et de ressortir avec quelques belles images, et aussi quelques questions. C’est déjà très bien comme cela. Et c’est l’occasion de se rappeler de quelque chose d’essentiel: “Tant qu’on ne les a pas tout-à-fait oubliés, les chevaliers ne meurent jamais.”

Jusqu’au 10 février au Nouveau Théâtre de Montreuil.

Un ciné-spectacle de Métilde Weyergans et Samuel Hercule (texte, réalisation, mise en scène) d‘après l’oeuvre de Cervantès
Musique originale Timothée Jolly et Mathieu Ogier

Avec : Philippe Vincenot, Samuel Hercule, Métilde Weyergans, Timothée Jolly, Mathieu Ogier
Et, à l’écran : Ava Baya, Jean-Luc Porraz, Anne Ferret, Michel Le Gouis, Nicolas Avinée, Xavier Guelfi, Pierre Germain, Constance Chaperon, Alexis Corso, Grégoire Jeudy…
Assistants réalisation : Grégoire Jeudy, Damien Noguer
Chef opérateur : Lucie Baudinaud
Chef décorateur : Dethvixay Banthrongsakd
Chef costumier : Rémy Le Dudal
Montage : Gwenaël Giard Barberin
Direction de production tournage : Lucas Tothe
Création sonore : Adrian’ Bourget
Création lumière : Soline Marchand
Construction machinerie : les Artistes Bricoleurs Associés
Assistante à la mise en scène : Pauline Hercule
Régie son : Adrian’ Bourget / Eric Rousson
Régie générale : Sébastien Dumas
Régie plateau : Frédéric Soria / Pierrick Corbaz
Production, Administration : Anaïs Germain et Caroline Chavrier

Infos pratiques

Musée de l’armée – Hôtel des Invalides
Frac Corse
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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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