Performance
“Lascaux”, dans les questions de Gaëlle Bourges

“Lascaux”, dans les questions de Gaëlle Bourges

03 December 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Les spectacles sont rarement confortables aux Inaccoutumés, le festival qui se tient à la Ménagerie de Verre chaque automne. La chorégraphe Gaëlle Bourges a parfaitement répondu à l’exercice en proposant Lascaux, une plongée philosophique, performative et brouillonne sur les fausses projections.

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Pour Bataille qui s’est passionné pour la grotte de Lascaux (Lascaux ou la naissance de l’art) et L’érotisme, le sexe et la mort forme un couple solide… Mais Bourges pose la contradiction. Elle le fait plutôt vers la fin de sa performance, mais c’est la seule question qui la taraude et qui pourrait se résumer par l’interrogative : Et si il était myope en fait ? Traduit en langage dramatique cela donne : Et si notre vision du noir n’était pas aussi limpide qu’on le pensait ?

Celle qui l’année dernière décryptait dans la même salle les recoins de la Dame à la Licorne pour sa pièce A mon seul désir commence par nous plonger dans le noir. Elle cite Delivrance, le thriller de John Boorman qui met quatre garçons en scène dans un enfer au cœur d’une nature américaine qui éclate de sauvagerie dans ce rapt qu’en font ces Américains avec lesquels Gaëlle Bourge démarre son propos.

Une nature américaine dont l’image ne correspond pas à la réalité. Ce que l’on croit voir semble donc bien être le fil conducteur de ce spectacle pensé comme un collage d’images. Sans vouloir se plier à un exercice à la Prévert, disons qu’il y a une fille qui se fabrique un soutif, et des hommes à tête de chevaux… par exemple.

Il faut alors commencer à appréhender les ténèbres pour, à l’aide de loupiotes, découvrir sur le sol, un amas de cartons appelés à devenir, manipulés, un cirque d’ombres qui fera danser sur les murs tout le bestiaire de Lascaux. Un mac tourne en continu, nous faisant entrer dans la grotte comme un fibroscope descend dans l’intestin. L’image semble vomir, s’auto-alimenter, pour s’auto-éjecter. La boucle est insoutenable. A cela elle choisit d’ajouter une saturation du son. Mais à ce jeux-là, d’autres jouent un meilleur jeu. On pense à Myriam Gourfink notamment qui s’amuse à faire vrombir les plateaux dans des ambiances qui sont à la fois apaisantes et anxiogènes. Car il y a ambiguïté et il y a trouble à regarder avec nos yeux de sapiens augmentés nos lointains ancêtres et leurs traces artistiques.

La vidéo tourne toujours, invisible pour le second rang. Juste un ordinateur posé au sol. Et toujours cette sensation d’ingestion. Elle veut entrer là où les choses ne se digèrent pas. Là est à la fois le risque et l’enjeu de cette pièce qui cite Agamben, celui qui a inventé l’idée que l’état d’exception était l’état normal des choses. Est-ce normal enfant de découvrir, en pleine Guerre Mondiale, l’année où le premier Statut des Juifs est voté, l’année donc où les citoyens désignés comme juifs doivent se cacher dans des grottes civilisées nommées caves, un lieu qui est vu comme le papa de l’histoire de l’art ? Etre dans la grotte, ne pas vouloir en sortir. Ne pas pouvoir en sortir car ce serait mourir. Projeter sur les murs comme dans son corps des images et les faire parler. Elle nous raconte que l’homme oiseau qui bande est impuissant. Que le buffle en face est stérile. Elle nous raconte qu’aucune réponse ne sera donnée et que tout est à remettre en question.

ll y a un manque de structure ici qui se ressent par des rythmes peu assumés. Le noir n’est pas assez long, la danse pas assez vitale. Alors, on reste à regarder cette grotte de l’extérieur, sceptiques. A trop nous assaillir de questions sans réponse, on se retrouve éjectés de la grotte. Encore faudrait-il accepter de lâcher-prise, de quitter la domination qui est là depuis la préhistoire et de « dire la vérité ». Lascaux (le spectacle) pose problème au sens ou Platon utilise une caverne pour refléter l’humanité. Sans Lascaux (la grotte) pas de Ménagerie de Verre (la pièce de Tennessee Williams) pourrait-on entendre. Tout n’est jamais que reproduction.

Les Inaccoutumés se prolongent jusqu’au 12 décembre :

Jonas Ché­reau & Ma­de­leine Four­nier Sous-Titre du mardi 8 au jeudi 10 décembre

Kaori Ito Je danse parce que je me méfie des mots ven­dredi 11 et sa­medi 12 décembre

Visuel :  ©Agnès Butet

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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