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Insularités au Tarmac : Voix d’insurgés de Raharimanana et Mika, heure locale de Myriam Soulanges

Insularités au Tarmac : Voix d’insurgés de Raharimanana et Mika, heure locale de Myriam Soulanges

27 June 2014 | PAR Camille Lucile Clerchon

Le Tarmac, la scène internationale francophone, présente jusqu’au 28 juin deux formes courtes à l’ancrage insulaire marqué qui questionnent les parcours individuels et collectifs de la mémoire.

Avec Voix d’insurgés (Rano, Rano) Raharimanana transmet la parole des insurgés malgaches qui, en 1947, ont lutté pour l’indépendance de Madagascar, et révèle le massacre impitoyable dont ils ont été victimes.
En seconde partie, Myriam Soulanges présente Mika, heure locale, un duo créé aux Antilles.

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Voix d’insurgés (Rano, Rano) de Raharimanana
En 1947, au lendemain de la seconde guerre mondiale, Madagascar est une colonie française. Une révolte éclate contre l’ordre colonial qui gagne rapidement toute l’île, avant d’être réprimée avec une extrême violence. La puissance coloniale l’emporte sur l’insurrection et ce n’est qu’en 1960 que Madagascar devient une nation indépendante.
1947 est une date qui revient comme un leitmotiv dans l’oeuvre de Raharimanana, qui semble y revenir inlassablement pour tenter de faire lumière sur la clameur sombre qui envahit ces jours là. En 2001, il publie le roman Nour, 1947, puis en 2008, Madagascar 1947 qui est adapté au théâtre par Thierry Bédard. La tournée de « 47 » prévue en 2009 dans la région de l’Océan Indien sera annulée par le Ministère des Affaires Etrangères qui retire la pièce de ses propositions de programmation. C’est dire à quel point le sujet est sensible, et combien le travail de mémoire de Raharimanana est essentiel.
Ainsi son œuvre, prenant les massacres de 1947 comme point de bascule, place la violence au centre de la réalité malgache, invente un langage qui transcrit les douleurs et les tressaillements d’une société éviscérée, posture poétique réellement subversive qui nécessite une immense finesse pour se frayer un chemin parmi la pesanteur des silences et des non-dits consensuels.
En 2011, Raharimanana entame une collaboration avec le photographe malgache Pierrot Men. Pour la parution de l’ouvrage Portrait d’insurgés, Madagascar 1947, ils ont réalisé des portraits saisissants des derniers insurgés encore vivants. On retrouve ces portraits projetés en fond de scène dans Voix d’insurgés (Rano, Rano), une pièce dense, courte et intense, pour laquelle Raharimanana s’entoure également du musicien malgache Tao Ravao et fait entendre les voix de ceux qui se sont battus pour se libérer du joug colonial. Il raconte plus précisément le calvaire de plus de 700 insurgés piégés par l’armée française et amenés à Manakara puis à Diego-Suarez où ils subissent les pires sévices pendant d’interminables journées.
Raharimanana explique dans un court prologue œuvrer pour « tisser à nouveau la parole qui relie », puis au fur et à mesure que le récit se déploie, il devient une véritable incarnation de ces hommes dont il transmet la parole. Parole brute, dont le rythme trahit une émotion encore palpable, encore vivante, parole précieuse et rare dont la transmission est tant douloureuse que salutaire.

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Mika, heure locale de Myriam Soulanges
Mika, heure locale, c’est d’abord se défaire de ce qui nous retient, nous emprisonne, nous englue, littéralement, pour ensuite mieux nous retrouver.
Voici deux êtres rivés au sol par leurs modestes sandales de plastique, pourtant si jolies et si colorées, (si exotiques?). Sortir de ce carcan, c’est encore tâtonner vers l’autre et l’ailleurs, c’est enfin pouvoir choisir de quel bagage se lester, et duquel se délester.
Myriam Soulanges, en duo avec Xavier Chasseur-Daniel invente une danse singulière, puissante et sensuelle, de saccades en rondeurs pour une pièce où l’introspection se conjugue avec la relation.
Mika, heure locale est un spectacle à forte saveur caribéenne, loin, bien loin de l’anecdote, c’est dans la complexité des processus identitaires, individuels et collectifs que la pièce puise sa force et sa portée universelle.
C’est sur une biguine de Négoce et Signature, emblématique groupe guadeloupéen, que Myriam Soulanges signe un duo d’une grande force plastique qui explore une facette intime de l’identité antillaise, une traversée émancipatrice dans la relation à soi et à l’autre.

Visuel : Tarmac

Infos pratiques

Comédie Framboise
Compagnie l’Héliotrope
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