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Festival Performatik à Bruxelles : quand le vivant entre dans le musée

Festival Performatik à Bruxelles : quand le vivant entre dans le musée

24 March 2015 | PAR Constance Delamarre

Work/Travail/Arbeid  – Anne Teresa De Keersmaeker

“Que deviendrait une chorégraphie une fois présentée selon les codes d’une exposition ?”. Voici la question de départ, posée dans le dossier de présentation du nouveau projet de la célèbre chorégraphe belge, qui se tient au Wiels à Bruxelles jusqu’au 17 mai 2015. 

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En ré-imaginant Vortex Temporum, un ballet créé en 2013 à partir de l’oeuvre musicale éponyme du compositeur français Gérard Grisey de 1996 (dont nous avons déjà parlé ici et !), Anne Teresa De Keersmaeker réinvente la travail chorégraphique selon les codes temporels, spatiaux et sensoriels du musée. Sous la forme d’une exposition qui durera neuf semaines au Wiels, centre d’art contemporain, Work/Travail/Arbeid bouleverse la conception et la perception de la danse et du musée, et révèle ainsi l’activité conceptuelle de De Keersmaeker.

En effet, les dispositifs et les attentes entre la scène et le musée sont très différents. Un spectacle de danse se regarde généralement sur une scène face à un public assis et sur une durée donnée à l’avance, alors qu’une exposition se présente dans un espace accessible à la guise des visiteurs, sur une plage horaire journalière et souvent pendant plusieurs semaines. Work/Travail/Arbeid n’est pas un spectacle de danse amené dans un musée mais un spectacle repensé comme une exposition, précise le dossier. C’est un événement “en marche”, qui sera continuellement accessible aux visiteurs.

A la différence d’un spectacle de danse, aucune ligne ne délimite une scène, ce qui instaure une proximité – voire une intimité – avec les danseurs. Les visiteurs sont libres de rester le long du mur, de traverser l’espace des danseurs, de rester immobile, debout, assis, ou même de danser à leur tour. Ainsi, il n’y a pas de point de vue précis ou idéal pour voir Work/Travail/Arbeid, et aucune vue d’ensemble n’est possible. Et les danseurs et les musiciens doivent continuer la pièce même s’il n’y a personne pour regarder.

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De plus, le Wiels est ouvert sur sept heures alors que le projet d’Anne Teresa De Keersmaeker s’étend sur des cycles de neuf heures, ce qui a pour conséquence qu’aucun cycle ne peut reprendre au même endroit deux jours de suite. Le temps de la pièce et les horaires du Wiels sont intentionnellement désynchronisés, afin de déjouer une quelconque boucle prévisible. Chaque heure est également une nouvelle combinaison de danseurs de Rosas, la compagnie de De Keesmaeker, et de musiciens de l’ensemble Ictus.  Ce projet est avant tout un travail sur la contraction et la dilatation du temps, dans lequel Vortex Temporum sera déployé couche par couche.

Work/Travail/Arbeid est construit selon une logique très mathématique. Rien n’est improvisé chorégraphiquement, ce que nous prouvent aussi les formes géométriques dessinées au sol, éléments phares du travail d’Anne Teresa De Keersmaeker, servant à guider les danseurs. Mais contrairement au ballet original dans lequel les formes géométriques sont déjà présentes, ici les danseurs les dessinent à la craie à la vue du public, qui assiste donc à l’élaboration de la pièce. Anne Teresa De Keersmaeker travaille d’ailleurs en même temps au Wiels, dans une pièce juste au-dessous, pour créer une nouvelle oeuvre à partir de cette expérience, qui représente un réel work in progress. Dans ce nouveau projet, il existe donc une tension entre le structuré et l’inattendu, car dans cette configuration spatiale, perceptive et temporelle, la réaction des visiteurs ne peut pas être anticipée. Doit-on applaudir en sortant du musée ?

Jusqu’au 17 mai 2015 au Wiels à Bruxelles, dans le cadre du festival Performatik 2015. Au Centre Pompidou à Paris du 26 février au 6 mars 2016, dans une version différente, adapté à l’espace muséal et au temps d’exposition. 

Emilio Lopez-Menchero

Pour la première fois, la CENTRALE for contemporary art à Bruxelles présente une exposition rétrospéctive d’Emilio López-Menchero, un artiste majeur de la scène locale, invité à dialoguer avec Esther Ferrer, pionnière de l’art performatif en Espagne. Leurs démarches artistiques, s’intégrant dans une volonté politique de dénoncer les dérives de notre société, se rejoignent dans la thématique de l’humain. 

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Connu pour ses performances dans la capitale ou ses interventions urbaines, Emilio López-Menchero est un artiste à multifacettes (peinture, vidéo, photographie, performances). En 2006, la ville de Bruxelles lui commande une oeuvre, et c’est au début de l’avenue de Stalingrad et dans l’axe de la Gare du Midi, lieu de dense mobilité et de manifestations sociales, qu’il installe Pasionaria, un porte-voix géant comme un amplificateur de présence humaine. En 2010, toujours dans cette volonté d’un dialogue citoyen, il crée sa performance Checkpoint Charlie. Entre les deux rives du canal, sur le pont qui sépare les communes de Bruxelles et Molenbeek, Emilio López-Menchero réalise une copie fidèle du réel Checkpoint Charlie, qui se trouvait en Allemagne pendant la Guerre Froide. Ce point de contrôle C séparait le secteur Ouest et le secteur Est de Berlin, et était ainsi lieu de nombreuses tensions. De cette même manière, en Belgique, le canal forme une réelle fracture sociale entre les deux zones qu’il sépare, c’est pourquoi Emilio López-Menchero a choisi cet emplacement pour son intervention publique et performative. Habillé en officier américain, il arrêtait tous les conducteurs en leur disant qu’ils quittaient Berlin pour entrer en zone soviétique, et leur distribuait un article rappelant l’histoire du vrai checkpoint.

Artiste à multifacettes, l’exposition à la CENTRALE nous révèle aussi des œuvres picturales, photographiques, vidéos et plastiques. L’Autoportrait adolescent de mon éblouissement jaloux et de mon ébahissement illimité face à l’Histoire de la Peinture ! (2011) est une vidéo représentant l’artiste habillé en gardien de musée qui recopie les tableaux au stylo bic et jette les feuilles au sol, suscitant la curiosité ou l’effarement des visiteurs, et rompant les codes de comportements. Dans sa série Trying to be, Emilio López-Menchero se photographie dans la peau de personnages célèbres (Balzac, Frida Kahlo, Picasso, Arafat…), mettant la question de l’identité au cœur de ces portraits. La question de l’identification de l’humain est un enjeu majeur du travail d’Emilio Lopez-Menchero, comme le démontrent In Balzac Mind (2011) qui est un portrait de Balzac sans yeux, ou Autoportraits (2013) qui révèle sous les couches de peinture une superposition de visages.

Toutes ses œuvres dialoguent avec l’installation d’Esther Ferrer, Madre Patria. Celle-ci représente un cercueil noir suspendu par huit câbles, créant une sorte d’araignée, avec une épée en forme de crucifix placée sur le cercueil et le drapeau de la monarchie espagnole déployé au mur. Le sens politique est sous-jacent à la démarche d’Esther Ferrer, et elle dénonce ici le pouvoir de l’Etat sur son peuple. L’engagement à la fois artistique et sociétal de ces deux artistes d’origines espagnoles montre la force de l’art à exprimer du sens.

Jusqu’au 29 mars à la CENTRALE for contemporary art à Bruxelles, dans le cadre du festival Performatik 2015.

Visuels © Constance Delamarre / deadmanjones

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