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Democracy in America, Castellucci et les idoles

Democracy in America, Castellucci et les idoles

13 October 2017 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Jusqu’au 22 octobre et dans un lien de fidélité inébranlable, le Festival d’Automne invite Le boss, Roméo Castellucci, à montrer son Democracy in America, que les spectateurs du Printemps des Comédiens ont eu la chance de voir en première en France cet été. Un spectacle 100 % Castellucci, où la forme dit le fond et où les mots sont des images comme les autres.

[Rating=4]

Alors, et on aurait envie d’écrire, évidemment, le plasticien et metteur en scène italien n’allait pas adapter les deux tomes qu’Alexis de de Tocqueville a écrit en 1835 et en 1840, de la même façon que The Four Seasons Restaurant n’est pas une pièce sur Rothko. Alors qu’allait-il garder ? Qu’allait t-il en tirer ? D’abord et avant tout le titre du livre dont il s’amuse à épuiser les lettres pour faire jaillir les sens cachés : « cry » « cocaïne » sont dans « Democracy in America ». Tout commence là : par un ballet militaire où un étrange puzzle vient donner le ton. Ce sera donc un spectacle sur Babel. Sur le mélange des langues et au-delà, sur les incompréhensions qui font les relations entre les hommes.

C’est le sujet qui passionne ce metteur en scène : il regarde les hommes vue d’en haut et en examine le commencement et la fin. Sur ce sujet, son chef d’œuvre absolu est son Sacre du Printemps totalement robotisé. Castellucci ne cesse d’interroger la disparition.

Dans une scénographie iconique de son geste, il floute derrière des rideaux de scène semi-opaques ce qui se passe. Comme toujours, la part théâtre est volontairement kitsch et décalée dans une fusion entre la Pastorale et la Comédia dell’ Arte. Et comme toujours, et n’en déplaise aux sectes chrétiennes radicales, il propose une lecture catholique de ses sujets. Avec cette proposition, il se concentre sur l’idée d’un sacrifice d’Isaac qui serait réalisé par folie et pour un désir de possession.

Il ne garde de Tocqueville que l’aspect prophétique, celui qui annonçait la disparition des Indiens et de leur langue.

Mais tout cela, c’est classique chez Roméo. Là où il surprend, encore, c’est en s’accompagnant de chorégraphes et de danseuses. Aux côtés des comédiens ( Olivia Contorsion, Giulia Perelli, Gloria Dorliguzzo, Evelin Facchini, Stefania Tansini, Sophia Danae Vorvila) viennent circuler dans des gestes de danses folkloriques majoritairement européénnes douze danseuses (Nais Arlaud, Stéphanie Bayle, Sara Bertholon, Adèle Borde, Maria Danilova, Ambre Duband, Fabiana Gabanini, Flavie Hennion, Juliette Morel, Marion Peuta, Flora Rogeboz, Azuza Takeuchi et Marie Tassin). Pour construire ces rondes déméntes où, par exemple, des Amish dansent le french cancan, il a demandé à Evenlin Facchini, Gloria Dorliguzzo, Stefania Tansini et Sophia Danae Vorvila de penser les chorégraphies.

Il y a donc ici énormément de mouvement, ce qui dans tous les sens du terme une révolution pour celui qui a l’habitude de poser des hommes et des objets. Castellucci ne passe pas à côté de son sujet qui est la construction d’un État à partir d’une volonté d’indépendance. Mais créer l’unité est un travail dont on ne sort pas sans crise de démence. Il y a dans les gestes choisis la volonté de rappeler que l’Amérique est une histoire européenne, faites de guerres et de tensions entre des types de pouvoirs.

Même si cette pièce n’atteint pas la beauté et le statut de chef-d’oeuvre comme Le Sacre ou Sul concetto di volto nel figlio di Dio, les images infusent, font leur job. Et à l’heure où les USA sont dirigées par un inquiétant personnage, qui vient de quitter l’UNESCO, évidemment que tout résonne, que les hurlements de la pauvre paysanne Elisabeth, dans une version esthétisée de L’Exorciste semblent être la catharsis de tous les démocrates du XXIe siècle. C’est dément de poser l’une après l’autre des images comme des révélations, de ne pas essayer de comprendre à chaque instant, de lâcher-prise, de laisser-faire. 

Democracy in America © Guido Mencari

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