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Apollo 11 méritait une bande musicale: mission accomplie pour “Cosmos 1969” de Thierry Balasse / Cie Inouïe

Apollo 11 méritait une bande musicale: mission accomplie pour “Cosmos 1969” de Thierry Balasse / Cie Inouïe

15 January 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Thierry Balasse et sa compagnie Inouïe présentent Cosmos 1969, leur dernière création, à la Maison de la Musique de Nanterre jusqu’au 20 janvier. Ce concert-spectacle se propose comme la bande musicale de la mission Aplollo 11 qui emmena Neil Armstrong jusqu’au sol lunaire, mais également comme une performance transcrivant le parcours sensoriel du spationaute, créé par la prodigieuse Chloé Moglia. Le résultat est très réussi, avec des moments de grande émotion, même si certains passages peuvent être déconcertants.

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Cosmos 1969. Rien que le titre fait rêver. Proposer une bande musicale, a posteriroi, pour la mission Apollo 11, c’est une idée excellente en soi. Spectaculariser le concert en le mariant à un geste performatif fort, symbolique, c’est un programme ambitieux qui ne peut que séduire.

En ressortant de la salle, on a tout-à-fait le sentiment d’avoir assisté à quelque chose de spécial, qui a capté un peu de cette époque, un peu de la magie de cette aventure folle, qui a transformé profondément notre rapport au monde et à l’univers, bouleversement que nous ne saisissons peut-être plus entièrement maintenant. On ressort hanté de mélodies puissantes, et de belles images. On tient dans sa main le livret du spectacle, magnifique. Pourtant, on a aussi le sentiment, diffus, d’un inabouti.

Pour le préciser, il faut reprendre. L’une des marques de fabrique de Thierry Balasse est de faire dialoguer de vieux standards, qu’il nomme joliment “musique mémorielle”, avec des compositions et improvisations électro-accoustiques – il a été l’un des plus fidèles compagnons de route de l’immense et regretté Pierre Henry. S’il s’occupe lui-même des secondes, partiellement avec des machines analogiques dont certaines sont de sa propre conception, il est donc accompagné sur scène d’un groupe de musiciens qui interprètent les titres pop-rock-classique choisis pour compléter la bande musicale. Et, de ce point de vue, la sélection ne laisse rien à désirer, allant du convenu mais o combien sublime (Space Oddity, qui a une telle puissance par lui-même qu’il éclipse presque le spectacle; on peut l’inviter sur scène, mais on ne peut pas le domestiquer) au recherché (King Crimson, avec un Epitaph poignant), en passant par le magnifique O Solitude de Purcell, interprété avec voix et guitare électrique.

Pour déployer le concert dans d’autres dimensions, Thierry Balasse a travaillé avec Chloé Moglia à mettre au point une proposition mi-spectaculaire mi-performative, qui rende compte visuellement et sympathiquement de la course physique de Neil Armstrong pendant la mission. Après que la fusée ait décollé vers la dixième minute du spectacle, Chloé Moglia entreprend donc l’ascension d’une spirale impressionnante qui se déploie au-dessus de la scène et jusque haut sous les cintres. Elle le fait revêtue d’une tenue symbolique de spationaute, comme tous les autres interprètes présents sur scène à l’exception de Thierry Balasse, en chemise et cravate. Elle le fait avec son art consommé de la suspension, de la recherche des équilibres statiques du corps et des postures qui l’accompagnent, développé lors de ses longues recherches au trapèze, qui l’ont fait notamment remarquer par Yoann Bourgeois (lire notre cirtique). Sa pratique corporelle semble faite pour traduire l’apesanteur. Elle le fait en prenant son temps, chaque étape de la mission correspondant à un moment précis le long de son parcours. Cela donne lieu à quelques images magnifiques. Il faut la voir, assise, seule, en haut d’une courbe, précairement installée au-dessus du vide, le regard perdu dans le lointain, tandis que résonne O Solitude de Purcell – c’est saisissant.

Cependant, le spectacle a aussi des versants expérimentaux, qui peuvent le rendre un peu moins pop et un peu moins abordable que cette première approche pourrait laisser paraître. Evidemment, la musique électro-accoustique de Thierry Balasse se veut expérimentale, et il faut sans doute avoir une certaine expérience du genre pour pouvoir pleinement la goûter dans ses subtilités. Telle qu’on l’a entendue, elle pouvait autant accompagner avec bonheur certaines évolutions de Chloé Moglia, et venir efficacement en contrepoint des instrumentistes, que s’étendre dans de longues compositions très abstraites. Chacun verra s’il adhère. Au-delà, l’aspect visuel du spectacle est volontairement très dépouillé: hors la spirale et la figure de Chloé Moglia, on a quelques belles trouvailles (les réflecteurs posés sur la scène qui reflètent la lumière des projecteurs, la silhouette d’ombre de Chloé Moglia qui se découpe au fond de scène…), mais on est un peu frustré que la proposition soit si aride par rapport à la richesse de ce qui est donné à entendre.

Là où le bas blesse un petit peu, c’est dans l’interprétation musicale: à une section rythmique impeccable, menée par Eric Groleau, et une guitare très convenablement maniée par Eric Lohrer, répondent des voix qui ne nous semblent pas tenir la même exigence technique. Au niveau de la construction, la “musique mémorielle” est parfois trop forte, dans son écriture et dans la densité de l’affect qu’elle convoque, par rapport au reste du concert, et peut le gommer. Surtout, le coeur du spectacle présente un risque de décrochage, qui pourra être diversement vécu par les spectateurs, quand les cantos électroniques de Thierry Balasse constituent la seule musique, et qu’il n’y a plus à voir que les lentes évolutions aériennes de Chloé Moglia; le rythme est alors très lent, la proposition très abstraite, et, pour peu que l’on n’adhère pas, on est vite prisonnier d’un temps qui s’étire.

Il nous semble, enfin, que le travail de Chloé Moglia, parce qu’on le connaît, n’arrive pas à déployer toute sa force ici. Cela pourrait tenir au fait que l’on soit en intérieur, sur une scène éclairée de façon pas toujours généreuse et globalement assez froide, alors que Chloé Moglia réserve habituellement ses perfomances pour l’extérieur, avec un lien évident, comme alchimique, avec le paysage qui l’entoure – ou alors il lui faut l’écrin d’un lieu sacré, comme pouvait l’être l’Abbaye du Mont Saint-Michel (à lire ici). C’est sans doute ce sacré qui était recherché dans Cosmos 1969, mais il ne prend que par moment. Peut-être aussi une partie de la force des propositions de Chloé Moglia tiennet à leur corporalité, en ce qu’elles donnent à voir et à entendre comme une transe dans l’effort de suspension – muscles contractés, souffle de la respiration – ce qui n’est évidemment pas possible ici. Ce n’est pas à dire que la technique ne serait pas à la hauteur habituelle, ou l’engagement de l’artiste moindre, ou son numéro décevant – mais il nous semble qu’il est moins transcendant qu’on a pu le ressentir par le passé.

Qu’on ne s’y trompe pas: c’est un très beau spectacle, qui vaut très clairement le détour. On n’y vibre peut-être pas tout du long, mais on y vibre tout de même, et beaucoup, ce qui est mille fois plus que ce que la plupart des propositions spectaculaires peuvent revendiquer. Certains tableaux sont vraiments magnifiques. C’est une expérience à traverser, en acceptant son côté, justement, expérimental. Ce n’est pas parfait, peut-être, mais quelle expérience peut prétendre l’être?

A voir encore à la Maison de la Musique de Nanterre les 18, 19 et 20 janvier.

COSMOS 1969
Concert-spectacle pour corps aérien, six musiciens et dispositif sonore immersif

Musique originale : Thierry Balasse
La pièce Quanta Canta de Thierry Balasse est une commande du festival Aujourd’hui Musiques du Théâtre de l’Archipel, scène nationale de Perpignan.
Musique mémorielle : Pink Floyd + The Beatles + David Bowie + King Crimson
Scénographie et lumières: Yves Godin
Écriture aérienne: Chloé Moglia

Courbe suspendue : Chloé Moglia ou Fanny Austry
Chant : Elisabeth Gilly
Basse et chant : Elise Blanchard
Batterie : Eric Groleau
Guitare : Eric Lohrer
Synthétiseurs, piano électrique & chant : Cécile Maisonhaute
Synthétiseurs et électroacoustique : Thierry Balasse

Régisseur son façade : Benoit Meurant
Régisseur son retour : Julien Reboux
Régisseur général et lumières : Thomas Leblanc
Régisseur de scène : Max Potiron

Préparation vocale : Valérie Joly

Costumière : Alexandra Bertaut
Etude, Conception et Construction de structures et agrès : Silvain Ohl et Eric Noël
Visuels: © Max Potiron

Infos pratiques

Comédie Framboise
Compagnie l’Héliotrope
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