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À Actoral,  Samira Elagoz regarde ses violeurs face caméra

À Actoral, Samira Elagoz regarde ses violeurs face caméra

06 October 2018 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Dans une docu-fiction éprouvante, l’artiste finno-égyptienne interroge ses viols à la lumière des rencontres en ligne.

À Marseille, Actoral est le festival des écritures contemporaines, créé par Hubert Colas, dont le cœur battant est l’incroyable lieu qu’est Montévidéo, à la fois café, salle de spectacle et résidence d’artistes à quelques mètres de la rue Breteuil. En ce moment, on peut y voir projeté The young and the willing de Samira Elagoz, un film sur le premier baiser. Plus loin, au Merlan, scène nationale située au cœur des célèbres quartiers nord, la cinéaste et performeuse présente Cock, Cock…who’s there ? 

À la façon d’une conférence TED, elle expose, crop-top blanc, jean troué bleu clair et grosses baskets blanches, comment dans les cinq dernières années, elle a été victime de deux viols, l’un commis par celui qui était alors son compagnon, l’autre par une connaissance. Pour tenter de comprendre et surtout de retrouver un lien avec le genre humain, elle s’est transformée en sociologue du désir.

Il y a un moment clé dans le spectacle qui est à 90% composé du résultat vidéo de ses enquêtes. Elle cite le photographe Richard Kern qui couchait avec tous ses modèles. Samira Elagoz ne juge pas elle interroge : pourquoi lui n’a pas peur ? Pourquoi elle oui ? Alors, et cela a fait l’objet d’un long largement primé en 2016, Craigslist Allstars, elle a balancé une petite annonce qui nous glace :

“Lisez, je recherche des inconnus”. Protégée à la fois par son statut de professionnelle et par la caméra, elle a donc donné rendez-vous à des hommes chez eux, pour les interroger sur leurs rapports aux femmes et les voir mettre en acte leurs jeux de séduction. Elle casse une première idée :  tous les hommes ne sont pas des prédateurs. Et même, elle s’autorise à tomber amoureuse.
Elle reprend la main, reprend le pouvoir en ne se cachant pas, en assumant tous les codes de la féminité. Finalement, elle nous offre une leçon sur le consentement extrême.

Les images sont souvent insoutenables, car nous sommes terrifiés, et cela est idiot. On a peur pour elle, on a envie de la protéger. Visuellement, son univers rappelle celui de Nan Goldin. C’est trash sans être porno. Des scènes de baisers, à la tension sexuelle explosée par la frustration nous redonnent le sourire.

Elle balance les porcs et les méthodes humiliantes de la police qui par deux fois, lui fait revivre le crime dont elle est victime. Elle ne cherche pas à se venger, les flics ont fini par faire leur travail, mais bien à remettre la sexualité sous un regard humain.

On sort de là nauséeux, face à un geste fort, celui d’un journal intime assumé et forcement, extrêmement personnel. Étonnamment, elle vient saluer à la fin comme si nous avions eu à faire à un “vrai spectacle”, alors que nous, on aurait juste aimé lui parler, longtemps, après le dernier diaporama où de façon allégorique elle possède le sperme des garçons. Elle en fait ce qu’elle veut, puisque de toute façon, il a quitté leurs corps. Cock, Cock…who’s there est un”projet” qui questionne notre perception des images dites trash mais aussi des secrets, des silences, qui voient les victimes se taire. Elle réussit, elle a trouvé le moment, elle se confronte et nous confronte.

Une proposition complexe dont on ne sort pas indemne.

Visuel :©Samira Elagoz

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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