Opéra
Tancredi au Théâtre des Champs-Elysées : à voir les yeux grands fermés

Tancredi au Théâtre des Champs-Elysées : à voir les yeux grands fermés

22 May 2014 | PAR La Rédaction

Le Festival Rossini se poursuit au Théâtre des Champs-Elysées à Paris avec une nouvelle production de Tancredi. Une distribution éclatante pour une mise en scène navrante : allez, voyons le verre à moitié plein !

On en attendait beaucoup de ce Tancredi : prise de rôle pour la merveilleuse Marie-Nicole Lemieux, première fois qu’Enrique Mazzola dirige l’opéra d’un tout jeune Rossini qu’il connaît par ailleurs sur le bout de la baguette, l’occasion d’entendre enfin Patrizia Ciofi dans le rôle d’Aménaïde… Pas de doute, la distribution a de quoi faire saliver, et de ce côté, pas de déception. Quant à la mise en scène… Comment dire… On en regretterait presque une version de concert !

Côté argument, rien de bien original et c’est la faute à Voltaire. Rossini et son librettiste Gaetano Rossi s’inspirent de la pièce Tancrède du philosophe dramaturge. Syracuse en 1005 subit les assauts des Sarrasins. Deux familles rivales s’unissent, histoire de botter de concert les fesses de l’envahisseur. Pour sceller l’union, on promet la fille de l’un à l’autre, sans lui avoir demandé son avis. Ils ont une excuse, c’est encore le Moyen-Age (ah, il paraît que ça se fait encore ?). Manque de bol, la belle Aménaïde (Patrizia Ciofi) est secrètement amoureuse d’un beau chevalier, Tancrèdi (Marie-Nicole Lemieux). Petit pépin : l’homme a été banni de Syracuse. Persona non grata, dit-on en termes diplomatiques. Amour contrarié, accusations de trahison, doutes et tourments sans fin… voilà pour les ingrédients d’une tragédie qui s’achève par la mort de Tancredi et les pleurs d’Aménaïde. Rossini avait prévu deux dénouements, l’un heureux, l’autre non, Enrique Mazzola et le metteur en scène Jacques Osinski ont choisi la deuxième option. L’opéra s’éteint avec le dernier souffle de Tancredi sur un orchestre pianissimo, et c’est beau.

Comme souvent chez Rossini, le rôle titre masculin cache un rôle de femme éclatant, énergique et bien trempé. On veut la marier à un homme qu’elle n’aime pas ? Aménaïde refuse, prête à braver la mort. On l’accuse de trahison envers sa patrie ? Elle accepte avec courage le châtiment d’un crime qu’elle n’a pourtant pas commis. A elle les airs déchirants et les vocalises guerrières que Patrizia Ciofi endosse avec une virtuosité époustouflante. La voix est tendue, toujours comme prête à rompre, mais c’est paradoxalement cette vulnérabilité qui lui donne force et tension. Vocalement, l’incarnation est parfaite, on retiendra l’air dans la prison au deuxième acte, mélancolique mais jamais résigné.

Tancredi, lui, jalouse, doute, jalouse de nouveau, part au combat pour oublier doutes et jalousie, et meurt dans les bras de sa bien-aimée une fois qu’il a compris qu’elle ne l’a jamais trompé… Un mec, un vrai ! Le personnage n’est pas des plus passionnants, mais Marie-Nicole Lemieux est le genre de chanteuse qui vous rendrait intéressant le rôle de la plante au fond du plateau à gauche. Respect tout d’abord pour une amplitude vocale ahurissante : graves de basse, aigus tonitruants, le tout formant une tessiture inclassable. Contralto, paraît-il ? Elle mériterait une case à part tant sa voix rend caduque les étiquettes.

Derrière ces deux prestations d’exception, le reste de la distribution n’est pas en reste. Si l’Orbazzano de Christian Helmer est un  peu pâle, Antonino Siragusa (Argirio) se débat avec panache entre ses devoirs de rois et son amour de père, le tout du haut de sa voix de ténor. Josè Maria Lo Monaco compose une Isaura touchante, quand Sarah Tynan (Roggiero) laisse entendre un joli petit bout de voix à l’occasion d’un unique air.  Enrique Mazzola dirige avec clarté et finesse une partition qu’on devine lui tenir à cœur, avec un Orchestre philharmonique de Radio France parfois un poil mou. C’est certes chipoter, mais on regrette l’énergie de l’Ensemble Matheus qui enlevait Otello en avril dernier.

Tancredi, un spectacle parfait, n’eût été la mise en scène terne et ennuyeuse de Jacques Osinski. Le décor d’ambassade type ex RDA n’aide pas, mais à la limite, pourquoi pas. Quant à laisser les chanteurs dialoguer puis chanter de très longues minutes face à face sans bouger, ce n’est tout simplement plus possible au XXIe siècle. Et l’agitation inutile de quelques demi tours n’est de la poudre aux yeux pour personne. Hué lors de la première, navrée de dire, une fois n’est pas coutume, que ce n’est pas volé. Alors courrez-y (le théâtre était loin d’être plein lundi 19 mai), oreilles grandes ouvertes mais les yeux grands fermés !

Par Victorine De Oliveira

Visuels: © Vincent PONTET/WikiSpectacle

Infos pratiques

Olympia
La Ferme du Buisson
Marie Boëda

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration