Opéra
Robert Carsen et William Christie s’invitent chez les « gueux »

Robert Carsen et William Christie s’invitent chez les « gueux »

09 November 2018 | PAR Sarah Reiffers

Mercredi dernier s’est tenue à Angers la première de The Beggar’s Opera par Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes. Une soirée joyeusement non-conventionnelle orchestrée par deux géants, Robert Carsen et William Christie. 

Devant le public, un énorme mur de cartons. Et un homme endormi à même le sol, enveloppé dans un duvet, entre quelques détritus. Car c’est le « petit peuple », les brigands, les prostituées, les pauvres que John Gay met en scène dans son ballad opera The Beggar’s Opera, ou L’Opéra des gueux. Au-revoir les fées, riches aristocrates et autres dieux de la mythologie : ce qui l’intéresse c’est la vie de tous les jours, la misère, la ruse et la tromperie. Et bien sûr la satire, au cœur de son œuvre.

The Beggar’s Opera fut l’un des grands succès théâtraux du 18ème siècle. Contre l’inondation des opéras italiens importés sur les scènes londoniennes par Handel, l’anglais John Gay, poète, dramaturge et grand ami de Jonathan Swift et d’Alexander Pope, imagine une œuvre populaire à mi-chemin entre le théâtre et l’opéra, sans récitatif, et qui se joue du pouvoir politique alors en place (le gouvernement de Robert Walpole). Les chansons, très courtes, sont directement inspirées d’airs populaires ou d’opéras célèbres, que le public peut fredonner pendant la représentation. Un joyeux mélange, gai et irrévérencieux, proche de la comédie musicale, un genre qui continue à briller de nos jours outre-Manche et outre-Atlantique.

C’est dans une nouvelle version signée Ian Burton et Robert Carsen (épaulés par William Christie pour la conception musicale) que le public angevin a pu découvrir l’œuvre mercredi dernier. Ils nous offrent un Beggar’s Opera transposé à l’époque moderne et baigné par l’esprit de la rue, aux accents britanniques et délurés, porté par un petit groupe de musiciens en lunettes de gangster, et qui se livrent à un exercice d’improvisation différent chaque soir.

Carsen opte pour une mise en scène simple et discrète, qui laisse pleinement la place à la satire, mais sait se faire rude aussi : son mur de carton est comme un grand mur de misère dressé là, sale et fragile, qui ne résisterait pas à l’eau ou aux coups. Métaphore du pouvoir en place, au 18ème siècle comme de nos jours, si fragile dans sa corruption comme le dénonce le texte ? Carsen jongle entre les moments intimes où les jeunes gens amoureux chantent leur passion, souvent feinte, aux scènes bien plus lumineuses où l’on célèbre le sexe, la polygamie, l’alcool et la drogue. Et il abolit toutes normes, toutes limites : les acteurs et musiciens entrent en scène sans noir préalable, et interagissent entre eux et avec le public tout au long de l’œuvre. Pas de pupitres ni de chaises pour les musiciens, mais toujours et encore des cartons. L’illusion théâtrale en prend un coup, tout comme le glamour et la splendeur de l’opera seria ou la beauté de ses chants. Dans The Beggar’s Opera, lorsque les femmes montent dans les aiguës, c’est très souvent (voire toujours) volontairement faux et moqueur.

Ainsi mis en avant, les interprètes (non pas des chanteurs d’opéra mais « des acteurs qui aiment chanter », comme l’explique William Christie) se sont prêtés à cœur joie à leur rôle d’escrocs, d’ivrognes ou d’amoureux et amoureuses plus ou moins fidèles. Ils sont tous brillants et justes, et un plaisir à observer dans leur vulgarité, leur corruption et leur ridicule.

Qu’il soit donné en 1728 ou en 2018, The Beggar’s Opera séduit toujours autant, chose due, en partie, à sa capacité à être facilement transposé d’une période à une autre. Si ce n’est plus de Walpole mais d’un certain « Brexit » ou d’une certaine « Theresa » dont on se moque, et cela accompagné d’ordinateurs portables ou de smartphones, le message de l’œuvre sonne toujours aussi juste, et le rire vient toujours aussi facilement.

Visuels : Patrick Berger

The Beggar’s Opera par Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes, à Angers du 7 au 9 novembre, puis à Nantes du 11 au 14 décembre et à Rennes du 16 au 19 janvier 2019. 

En tournée régionale en Pays de la Loire : Saint-Nazaire le 27 novembre, Le Mans le 30 novembre et 1er décembre, La Roche-sur-Yon les 4 et 5 décembre et Laval le 8 décembre.

En tournée régionale en Bretagne : Saint-Brieux le 13 novembre, Dinan le 20 novembre, Vannes les 23 et 24 novembre, Rennes du 16 au 19 janvier 2019 et Quimper les 22 et 23 janvier 2019. 

Pour plus d’information, cliquez ici

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