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“Pelléas et Mélisande” à l’Opéra Comique : derrière la brume, la  lumière

“Pelléas et Mélisande” à l’Opéra Comique : derrière la brume, la lumière

21 February 2014 | PAR La Rédaction

Jusqu’au 25 février, la salle Favart rejoue une production donnée en juin 2010 de l’unique opéra de Claude Debussy : Pelléas et Mélisande.

 

Golaud s’en va chasser. Faute de gibier, il ramène au château d’Allemonde une jeune fille qu’il a trouvée éplorée dans la forêt. Comme elle est belle, il l’épouse. Mais les murs du château cachent gouffres et brumes qui accablent la douce Mélisande. « Je ne suis pas heureuse », soupire-t-elle en promenant sa mélancolie sous la clarté malade de la lune. Histoire de plomber encore l’ambiance, une famine ravage le royaume et s’amuse à jeter sur les chemins et le long de la mer les paysans. « On dirait qu’ils tiennent tous à mourir sous nos yeux », s’énerve Golaud. Golaud qui a déjà les tempes grises, remarque Mélisande. Alors que son frère Pelléas… A trop se regarder langoureusement dans les yeux et à jouer comme des enfants, les amants défendus ne trouveront que la mort.

Pelléas et Mélisande est d’abord une pièce de théâtre de Maurice Maeterlinck crée en 1893. Debussy assiste à la première et imagine sa musique aller comme un gant à ce drame symboliste. Dans un paysage musical écrasé par la figure de Wagner, les délicats embruns des harmonies debussystes ouvrent une voie nouvelle. Après la création de Pelléas le 30 avril 1902 à l’Opéra Comique, la presse s’extasie (« une œuvre d’art qui sort des sentiers battus », lit-on dans Le Matin, « une grande et belle chose » salue-t-on dans La Liberté) ou s’indigne (« maboulisme à l’état le plus suraigu », se moque-t-on dans La libre Parole, « une musique sans formes, sans dessin mélodique ou harmoniques », déplore-t-on dans La Gazette de France). La modernité de l’œuvre ne laisse personne indifférent !

Aujourd’hui, le chant déclamé des personnages a le parfum délicieusement suranné des contes transmis à la lueur de chandelles tremblantes. Ou du cinéma muet des années 1920, où l’on remuait lèvres, bras et sourcils avec d’autant plus de force que le son ne pouvait franchir l’écran. C’est cette esthétique à la fois maniérée et expressionniste que Stéphane Brauschweig semble s’être rappelé pour mettre en scène Pelléas. Réduits à quelques symboles, les décors installent l’atmosphère étouffante de cette légende médiévale : un phare tantôt à taille d’enfant, tantôt immense, des murs faits de persiennes toujours closes, un lit froid d’hôpital, des lumières bleutées…

Karen Vourc’h chante les yeux grands ouverts, comme étonnée de la vie qui agite sa voix. Le Golaud de Laurent Alvaro transpire par tous les traits du visage l’angoisse et la jalousie du mari blessé, il en est à la fois stupéfiant, intensément touchant et tragique. L’époux paternel capable de chanter comme on berce une enfant inquiète (« Fait-il trop triste ici ? », demande-t-il à Mélisande au deuxième acte) laisse peu à peu sa voix s’armer d’une rage blanche comme un spectre. A bien y réfléchir, Golaud incarné par Alvaro mériterait tout autant le rôle titre. Phillip Addis a parfois les aigus qui flanchent, mais ce n’est pas sans convenir à la timidité juvénile de Pelléas. Le roi Arkel de Jérôme Varnier, affaissé dans un fauteuil roulant, laisse couler sa voix de basse sur un royaume en déréliction. Si les hommes portent un si lourd chagrin, c’est peut-être pour mieux mettre en valeur la lumière des voix de Karen Vourc’h, Dima Bawab (Yniold) ou Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève).

De la lumière, Louis Langrée en porte aussi dans sa direction de la partition. Le flux de musique est continu, quasi hypnotique, mais jamais les motifs ne s’y noient, celui du hautbois qui appelle Mélisande comme celui de la sombre forêt. On se laisse volontiers embarquer par l’étrangeté du langage debussyste, mené par la baguette intelligente et éclairée de Langrée. La rêverie dure plus de trois heures, mais, loin d’abrutir comme un opéra de Wagner, vous laisse l’esprit léger, quoiqu’un peu ivre, d’un papillon nocturne…

Victorine de Oliveira

 Visuel : ©E. Carecchio.

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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