Opéra
Nabucco monumental et intime à Montpellier

Nabucco monumental et intime à Montpellier

16 May 2018 | PAR Gilles Charlassier

Créé à Nancy en 2014, le Nabucco de Verdi réglé par John Fulljames, qui inscrit le drame dans un décor de synagogue, s’épanouit à Montpellier dans les vastes dimensions du Corum, et sous la direction de Michael Schønwandt, avec la remarquable incarnation de Giovanni Meoni dans le rôle-titre.

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La folie bâtisseuse a parfois des avantages, et pour discutable que pût être parfois le long mandat de Georges Frêche, l’un de ses legs, l’Opéra Berlioz au Corum, constitue pour une saison lyrique un outil remarquable, aux dimensions vastes, sans être cependant tout à fait démesurées à l’aune du bassin de population – à l’inverse de quelque contre-exemple plus au nord. Le Nabucco mis en scène par John Fulljames à Nancy à l’automne 2014 le confirme, quelques mois après le Peer Gynt d’Olivier Deloeuil et Jean-Philippe Clarac, qui avait trouvé, mieux qu’à Limoges, le cadre et la fosse pour libérer ses potentialités.
Dessinée par Dick Bird, la synagogue outragée par les épreuves du temps, et sans doute du politique, renvoie aux profanations qui jalonnent l’intrigue : celle du temple par les Babyloniens, bien sûr, mais aussi le blasphème du roi, les amours interdites entre Fenena et Ismaël – jusqu’à la conversion de la jeune femme – ou encore le complot d’Abigaille. Au-delà du rituel dont le grand-prêtre Zaccaria est le ministre au lever de rideau, le dispositif inscrit avec habileté l’histoire dans la mémoire de la patrie martyrisée jusqu’à la libération finale baignée dans une aurore irradiante par les lumières de Lee Curan. Sans céder à la tentante transposition dans les péripéties du Risorgimento, ni au premier degré du carton-pâte, la mise en scène, moins éloigné de la lettre du livret qu’il n’y paraît, joue des codes du théâtre pour restituer les grandes lignes symboliques de la pièce, à l’exemple des parchemins hébraïques reprenant les citations bibliques en exergue avant chacun des actes dans le texte de Solera, ou encore des têtes de cheval et de taureau, métaphore probable de la guerre des idolâtries, confiée aux mouvements chorégraphiques de Maxine Braham. Mais c’est surtout la justesse de la direction d’acteurs et des effets architecturaux tant dans le traitement des masses chorales que des soli, qui assure à l’ensemble un bel équilibre entre le monumental et l’intime, que l’on peut voir comme le génie de l’ouvrage, et témoigne au passage du travail soigné de la reprise par Aylin Bozok.
Dans le rôle-titre, Giovanni Meoni, déjà titulaire à Nancy, domine le plateau avec son incarnation sensible qui s’attache à la richesse psychologique du personnage, loin des caractérisations sommaires qui prévalent parfois. Si l’on pourrait attendre ça et là un soupçon supplémentaire de relief, il ne faudrait pas bouder son plaisir face à un baryton qui met en avant l’héritage belcantiste de l’écriture vocale. Véritable gageure à distribuer, Abigaille appelle autant de puissance que de beauté de la ligne de chant. Jennifer Check privilégie la seconde, sans jamais se laisser effrayer par les écueils d’une partition exigeante. Sans faiblesse technique, elle résonne peut-être avec plus d’humanité que de coutume. Remplaçant Oren Gradus, Luiz-Ottavio Faria imprime à Zaccaria une autorité évidente, aux accents paternels où la pâte prend parfois le pas sur l’éclat. Davide Giusti compose un Ismaele fébrile aux côtés de la Fenena passablement monochrome de Fleur Barron, tandis que David Ireland s’acquitte des interventions du Grand-Prêtre. Les forces conjointes des choeurs montpelliérains et nancéiens, préparés par Noëlle Gény et Merion Powell, se montrent à la mesure de leur partie – des effectifs occitans se détachent Nikola Todorovitch et Marie Sénié pour assumer les répliques d’Abdallo et Anna. Dans la fosse, Michael Schønwandt libère les énergies de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, n’hésitant pas à faire ressortir la sécheresse de l’Ouverture. Non content de mettre en évidence la qualité des pupitres, à l’instar de violoncelles ronds et généreux, sa direction compense un instinct idiomatique relatif par une remarquable intelligence dramatique des ensembles, à l’exemple du finale du deuxième acte, d’une précision expressive admirable.

Gilles Charlassier

Nabucco, Verdi, mise en scène : John Fulljames, Opéra national de Montpellier, du 15 au 20 mai 2018

Visuel ©Marc Ginot

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