Opéra
L’ombre de Venceslao plane sur l’Opéra de Rennes

L’ombre de Venceslao plane sur l’Opéra de Rennes

17 October 2016 | PAR Elodie Martinez

L’Opéra de Rennes ouvre sa saison d’une manière risquée mais non sans panache puisque c’est avec une création mondiale qu’elle entre dans le vif du sujet de 12 au 16 octobre. L’Ombre de Venceslao est issue de la pièce de Copi, avec ce qu’elle a de cru dans son langage traduit et mis en scène par Lavelli, sur une composition de Martin Matalon. Avec cette production, la maison rennaise nous montre que le contemporain peut être accessible à tous.

L’histoire est celle de Venceslao, un homme d’origine uruguayenne habitant dans la pampa argentine marié à une femme tout en en côtoyant une autre, Mechita (elle-même courtisée par un riche commerçant du nom de Largui). De ces deux unions sont nés deux enfants, Rogelio et China, amoureux l’un de l’autre qui se persuadent qu’ils ne sont pas frère et soeur puisqu’ils n’ont pas la même mère. Lorsque l’épouse légitime meurt, Venceslao décide de partir avec Mechita au grand désespoir de Largui. Rogelio et China vivent alors pleinement leur idylle et partent à Buenos Aires où le premier finit ses études de droit et devient avocat. La seconde peut pour sa part bien mieux assouvir sa passion de la danse. Ils auront un enfant qui mourra après que sa mère ait confondu un insecticide avec le lait en poudre. Le vieux Largui finira par se languir de sa Mechita et décidera de partir la rejoindre vers les chutes d’Iguazu où il vivra avec le couple, leur cheval, leur perroquet et un singe nouvellement apprivoisé. Finalement, China se laissera emporter par la folie de la ville en suivant Coco, homme de paillette avec qui elle mourra lors d’une fusillade tandis que Rogelio sera mort de son côté, empoisonné. Venceslao quant à lui se pendra après s’être livré au perroquet. Son ombre apparaîtra dans une dernière scène à Mechita pour prendre des nouvelles et lui promettre de penser à eux. Rien de bien gai donc, il est vrai, mais le traitement reste celui de Copi et l’ambiance est loin d’être aussi sombre que l’on pourrait le croire.

L’ouverture se fait en plein orage et mêle rapidement les sons préenregistrés et l’orchestre dans un orage au réalisme foudroyant et dans lequel, finalement, on en vient à imaginer que tout provient de la fausse, l’enregistrement s’intégrant de manière déconcertante à la musique jouée. Ce naturel se retrouve d’ailleurs tout au long de la pièce lorsque des sons s’intègrent à l’histoire, comme par exemple les coups de feu en plein Buenos Aires.

Venceslao et Rogelio arrivent ensuite sur leur charrette et le ton est donné avec un « putain de merde » sortant de la bouche du protagoniste. Les paroles seront crues, voire vulgaires, traduisant du mieux possible la version en espagnol argentin de Copi. Admettons qu’entendre « Ah mais ça brûle cette saloperie » chanté de façon lyrique a tout de même quelque chose de comique et d’inattendu.

La mise en scène se fait dans un cadre relativement simple mais efficace, et l’on passe par exemple aisément du dehors en dedans sans difficultés en fermant deux portes et en changeant d’éclairage. Il suffira de déployer un tapis rouge et de le ranger pour faire apparaître et disparaître l’habitant du jeune couple China et Rogelio. Parfois, le simple fait de déposer trois bagages suffit à nous changer de décors, permettant ainsi à la trentaine de scénettes de s’enchaîner durant 1h30 sans jamais avoir à faire de pause.

La partition de Martin Matalon, ici sous la baguette d’Ernest Martinez Izquierdo, est (d)étonnante. Ici, les voix peuvent devenir des instruments et les instruments devenir des voix, les unes prolongeant les autres de manière linéaires, sans interruption. La musique parvient à véritablement créer un univers musicale, devenant un véritable décors dans lequel évoluent les échanges vocaux. Le passage entre les deux parties de l’opéra joué par quatre bandonéonistes est également remarquable, véritable hommage à cet instrument qui ne pouvait être oublié dans cette oeuvre aux couleurs de l’Argentine.

Côté plateau, nous ne pouvons que saluer l’ensemble des artistes. Que l’on apprécie ou non la musique contemporaine et quel que soit notre avis sur le langage employé, il est difficile de ne pas admettre que chacun des protagonistes mérite un grand bravo. Les partitions réclament en effet une technique impressionnante, obligeant chacun à une amplitude et à une adresse vocales assez exceptionnelle, notamment en ce qui concerne Estelle Poscio dans le rôle de China (qui nous offre au passage un bel exercice de danse) et Mathieu Gardon dans le rôle de Largui (devant sortir des notes très aigus puis plus grave allongée comme il peut sur un meuble, les pieds pendant dans le vide). Ziad Nehme nous donne à voir et à entendre un Rogelio très touchant qui devra aussi monter dans des aigus inhabituels (même pour un ténor) tandis que Thibaut Desplantes fait évoluer le personnage de Venceslao depuis l’homme rustre du départ à l’homme libéré mettant fin à ses jours que l’on voit à la fin de l’oeuvre. La prononciation est globalement excellente, même si certains accents se font bien sûr entendre dans les parties parlées.

Pour conclure, l’Opéra de Rennes prend le risque de nous offrir un opéra contemporain issu d’une oeuvre de Copi et réussit haut la main l’expérience. Même si vous n’aimez pas le registre contemporain, vous pouvez tenter l’aventure qui se démarque de bien des oeuvres contemporaines dans lesquelles l’impressions de cacophonie ressort plus qu’autre chose. Ici, point de cacophonie mais bel et bien une expérience “musico-vocale” née d’une coproduction avec plus d’une dizaine d’autres maisons. 21 représentations sont par ailleurs prévues en France mais aussi à Santiago au Chili et à Buenos Aires.


©Laurent Guizard

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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