Opéra
L’Enlèvement au sérail : débuts réussis de Rodrigo Garcia à l’opéra de Berlin

L’Enlèvement au sérail : débuts réussis de Rodrigo Garcia à l’opéra de Berlin

21 June 2016 | PAR Nicolas Chaplain

Avec L’Enlèvement au sérail, la Deutsche Oper permet à Rodrigo Garcia de signer sa première mise en scène d’opéra. Le projet est réussi. L’artiste argentin propose une lecture personnelle, audacieuse, moderne et drôle de l’opéra de Mozart créé en 1782 à Vienne. La folie, l’ambition et l’insolence de Garcia s’érigent contre la morale et l’hypocrisie et servent à merveille le génie de Mozart irrévérencieux et libertin.

Konstanze, Blonde et Pédrillo ont été enlevés par des pirates pour être livrés au Pacha Selim. Dans la mise en scène de Rodrigo Garcia, les trois personnages pique-niquent au Tiergarten lorsqu’une soucoupe volante les aspire par un éclair. Belmonte, le petit ami de Konstanze décide d’aller rechercher sa fiancée et de l’enlever du sérail. Il embarque au volant d’une big car à l’américaine accompagné par deux prostituées. Pendant l’ouverture, une vidéo diffuse leur trajet mouvementé pendant lequel les deux filles se maquillent, se changent, lisent des magazines, l’une se sent mal et vomit par la fenêtre tandis que l’autre s’endort.

Le sérail est ici un club de bien-être féminin et libertin. On y vit nu ou presque, on y fait du sport. Le Pacha Sélim, rôle parlé et totalement réécrit par Rodrigo Garcia, est incarné avec autorité et sensualité par la comédienne, modèle et présentatrice TV Annabelle Mendeng. Elle hurle son amour à Konstanze en anglais, en allemand et en français.  « Je t’aime. Pourquoi ? Je t’aime parce que je t’aime. Il n’y a pas de raison à la passion. Amour et tempête dans ma tête, dans ma chatte. Fuck you because I love you ». Konstanze lui répond qu’elle restera fidèle à l’amour de Belmonte et chante « Ich liebte, war so glücklich » en faisant du running et des étirements. Des vidéo-clips célèbrent la gloire de Sélim, exaltent sa beauté irradiante dans une piscine au soleil et font défiler des logos de marques connues détournées à son effigie comme Coca-Sélim.

Rodrigo Garcia retire toute niaiserie et romantisme dans les relations amoureuses.  Belmonte chante « Konstanze, dich wiederzusehen… O wie ängstlich » alors qu’une vidéo diffuse ses ébats compulsifs à trois pendant l’absence de Konstanze. Blonde, elle aussi, profite de cette (més)aventure et se donne aux jeux de l’amour et du désir. Elle séduit et taquine ses deux coachs sportifs en chantant « Durch Zärtlichkeit und Schmeicheln ». Konstanze n’est pas une victime. Elle affronte le Pacha en montant le harem de filles contre elle en leur faisant manger des barbes à papa au nez de celle-ci.

Rodrigo Garcia s’éloigne de la vision normée et romanesque de l’amour et refuse l’idée des relations hétérosexuelles et conventionnelles pour mettre en avant un esprit libertaire proche de celui du 18ème siècle. Il explore, comme Marivaux en son temps, la violence du désir, les méandres de la passion à notre époque. « Je veux montrer combien l’amour est difficile. Comment est-on sûr d’avoir trouvé le bon partenaire ? On peut aussi tomber amoureux de quelqu’un d’autre ou aimer deux personnes en même temps » dit-il.  Les retrouvailles entre les amants sont joyeuses et tendres mais montrent aussi l’attrait que chacun des deux ressent pour d’autres. Le quatuor final de l’acte 2 se termine en orgie où tous, hommes et femmes s’unissent et se caressent. Seule Sélim, qui croit au grand amour, finit dans la tristesse et la solitude. Désabusée, elle déclare « Il est difficile d’expliquer ce qu’est l’amour ». Après avoir libéré les deux couples, elle exprime au public son espoir de voir Konstanze, qui aurait plaqué Belmonte à une station-service, revenir au sérail car « il n’y a pas d’endroit meilleur qu’ici ».

Rodrigo Garcia instille tout au long du spectacle des moments de pure comédie comme il en a l’habitude. Il convoque l’univers de Tex Avery, Osmin chante « Vivat Bacchus » en transe au milieu de pom pom girls nues après avoir consommé la coke préparée par Pedrillo.

L’orchestre dirigé par Donald Runnicles est vif et rapide. Les chanteurs, très investis scéniquement, prennent des risques. Matthew Newlin a la voix idéale pour Belmonte, élégante, fine et ronde dans les aigues. Kathryn Lewek est très émouvante dans son air « Traurigkeit ward mir zum loose » et aussi furieuse, insolente et électrisante dans « Mattern aller Arten ». Tobias Kehrer interprète Osmin avec une forte présence et une voix belle et solide. Rodrigo Garcia parvient à les fédérer autour de son projet, ils se dépassent avec bonheur et joie.

Seul bémol de la soirée, les costumes du couturier Hussein Chalayan, sorte de peignoirs ou kimonos disgracieux, en total décalage avec la mise en scène.

Un prodigieux metteur en scène d’opéra est né. On espère le revoir vite dans de nombreuses maisons d’opéra.

A la Deutsche Oper de Berlin (Allemagne). © Thomas Aurin

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Nicolas Chaplain

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