Opéra
La Flûte Enchantée : une féérie animée à l’esprit d’un enfant émerveillé

La Flûte Enchantée : une féérie animée à l’esprit d’un enfant émerveillé

11 November 2017 | PAR La Rédaction

L’Opéra Comique fait une fois de plus la preuve d’originalité en présentant une version bien particulière de La Flûte Enchantée de Mozart.
Par Victoria Okada

Il s’agit de la production du Komische Oper de Berlin sous l’égide de son directeur Barrie Kosky, en collaboration avec Le Collectif 1927, proposant une conception qui balaye toute notion de mise en scène conventionnelle : les décors, les éléments et les situations scéniques sont remplacés par des images d’animation dans lesquelles les chanteurs sont habilement intégrés. Inspiré de films muets, les costumes font référence à ceux des années 20, et certains personnages sont (presque) directement issus de films, comme Papageno en Buster Keaton, Monostatos en Nosferatu et Pamina en Louise Brooks, ou encore Sarastro comme un personnage de Georges Méliès. Dans le même esprit, les dialogues se déroulent sous nos yeux, grâce aux textes qui s’affichent avec des écritures décoratives, dans des styles Art déco, Années folles, pop art et même bande dessinée.

Les images, poétiques et pleines de fantaisies, sont foisonnantes d’idées à l’âme d’enfants qui se seraient perdus dans un pays de merveille : une femme libellule qui répand les notes de musique dès que l’on entend la flûte, les bouches qui hantent Papageno quand il est condamné en silence, les clochettes avec les jambes de femmes aux chaussures à talon, cocktail rose géant au lieu du vin qu’on sert à l’oiseleur avant l’air « Une jeune fille ou une petite épouse », des éléphants roses à l’image de Dumbo qui volent autour de lui, la Reine de la Nuit comme femme-araignée, le royaume de Sarastro dans un monde rempli de machineries étranges, où la voix de l’orateur s’entend « off » en léger écho sonorisée, les fleurs qui s’épanouissent sur le « mur » et des abeilles et des oiseaux qui en sortent… Mais aussi beaucoup d’animaux : trois garçons-papillons, un chat, des singes, un dragon en guise de serpent (avec un arrangement musical à la chinoise !), des êtres du zodiaque comme bêtes sauvages… On peut citer encore et encore des images d’animation qui font beaucoup sourire et rire, mettant les spectateurs en bonnes humeurs tels des enfants qui attendent, à chaque tableau, à découvrir les prochaines merveilles.

Le dispositif scénique est réduit à un « écran », un mur blanc doté de quelques panneaux pivotant, à deux niveaux, et quelques éléments mobiles, toujours blancs, sur lesquels se projettent également des images. Dans ces « décors », les chanteurs sont dans la plupart des cas immobiles, exceptés quelques gestes et grimaces auxquels ils se prêtent à la manière de film muet. Cela doit être salutaire pour les chanteurs qui peuvent plus aisément se concentrer sur le chant, libérés de mouvements exigés par le besoin de la mise en scène, parfois incompatible avec la technique vocale… À moins que le travail de synchronisation avec les images (par exemple, caresser le chat en image, ou tenir une bête par un cordon en image) ait demandé une autre précision dans les mouvements. Malgré cet immobilisme, le spectateur ne s’ennuie jamais grâce aux images animées qui influent sa perception. Nous saluons donc la performance de tous les chanteurs qui forment tout un ensemble, chacun en assumant son propre rôle aussi bien dans l’art du chant que dans la chorégraphie, comme la musique, les images et leurs mouvements ne font qu’un.

Pour l’orchestre, si de légers décalages entre les chanteurs sont quelques fois bien perceptibles, on les tolère facilement en imaginant le travail méticuleux de minutage dans la partition, contraint par la projection continue. Le chef Kevin John Edusei relève admirablement bien ce défi avec succès. Un autre pari, très réussi, est d’introduire des fragments de deux Fantaisies pour clavier (n° 4 en ut mineur et n° 3 en ré mineur), jouées sur un pianoforte de 18e siècle pour accompagner les textes-écriteaux en guise de dialogues. L’unité stylistique est ainsi maintenue pour la musique, et la sonorité cuivrée du pianoforte agit sur la corde nostalgique, rappelant une époque ancienne et imaginaire. Délicieux est le décalage entre ce son « perruqué » mais résolument moderne au temps de l’invention de cet instrument, et la modernité aujourd’hui désuète de la cinématographie naissante.

Enfin, saluons également les techniciens de projection qui doivent avoir les yeux attentifs fixés sur « l’écran » pendant plus de deux heures.

On ne recommande que trop pour assister à ce spectacle réellement enchanteur qui fait aimer encore davantage Mozart et l’opéra !

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

Zauberflote (La Flûte Enchantée), singspiel sur un livret d’Amanuel Schikaneder

Direction musicale : Kevin John Edusei

Mise en scène : Suzanne Andrade, Barrie Kosky

Animations : Paul Barritt

Conception : Collectif 1927 (Suzanne Andrade et Paul Barritt) et Barrie Kosky

Décors et costumes : Esther Bialas

Dramaturgie : Ulrich Lenz

Lumières : Diego Leetz

Distribution

Pamina : Vera-Lotte Böcker (6, 8, 11, 13 nov.) / Kim-Lillian Strebel (7, 9, 12, 14 nov.)

Tamino : Tansel Akzeybek (6, 8, 11, 13 nov.) / Adrian Strooper (7, 9, 12, 14 nov.)

Reine de la nuit : Christina Poulitsi (6, 8, 11, 13 nov.) /Olga Pudova (7, 9, 12, 14 nov.)

Sarastro, Orateur : Wenwei Zhang (6, 8, 11, 13 nov.) / Andreas Bauer (7, 9, 12, 14 nov.)

Papageno : Dominik Köninger (6, 8, 11, 13 nov.) / Richard Sveda (7, 9, 12, 14 nov.)

Papagena : Martha Eason Monostatos : Johannes Dunz (6, 7, 8 nov.) /

Ivan Tursic (9, 11, 12, 13, 14 nov.)

Première Dame : Nina Bernsteiner (6, 8, 11, 13 nov.) / Inga-Britt Andersson (7, 9, 12, 14 nov.) Deuxième Dame : Gemma Coma-Alabert (6, 8, 11, 13 nov.) / Katarzyna Wlodarczyk (7, 9, 12, 14 nov.)

Troisième Dame : Nadine Weissmann (6, 8, 11, 13 nov.) / Karolina Sikora (7, 9, 12, 14 nov.)

Premier homme en armure : Timothy Richards

Deuxième homme en armure : Philipp Meierhöfer (6, 8, 11, 13 nov.) / Alexej Botnarcius (7, 9, 12, 14 nov.)

Trois garçons : Tölzer Knabenchor

Orchestre : Komische Oper Berlin

Paris, Théâtre national de l’Opéra-Comique, jusqu’au 14 novembre

Photos © Iko Freese drama-berlin.de

Infos pratiques

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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