Opéra
I Capuleti e i Montecchi à Marseille

I Capuleti e i Montecchi à Marseille

30 March 2017 | PAR Elodie Martinez

L’Opéra de Marseille donne du 26 mars au 4 avril l’un des classiques du bel canto, I Capuleti e i Montecchi de Bellini. Un chef d’oeuvre reposant tant sur un livret atemporel et magnifique de Felice Romani que sur une partition digne du grand compositeur qu’était Bellini (né en 1801 et mort en 1835, il ne composa pas moins de 6 opéras). Le fait de programmer cet opéra attire déjà par nature, mais l’Opéra de Marseille n’a pas hésité à doubler cet attrait par une distribution des plus alléchantes avec Natalie Deshayes, Patrizia Ciofi, ou encore Nicolas Courjal.

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Avec de tels arguments, il va de soi que l’on craint beaucoup pour la mise en scène : certains n’hésitent pas à transposer l’opéra de nos jours, remplaçant les épées par des revolvers et faisant des deux clans deux sortes de mafias concurrentes (ce qui, bien réalisé, fonctionne tout à fait). L’on pourrait également craindre une mise en scène trop épurée, ou bien totalement réappropriée par le metteur en scène, souhaitant à tout prix imposer son travail pour se démarquer des nombreux autres déjà effectués sur ce mythe repris sans relâche. Heureusement, il n’en est rien du travail de Nadine Duffaut qui montre que l’on peut bien retravailler une mise en scène sans pour autant dénaturer l’oeuvre (une leçon que nombre de metteurs en scène devraient entendre). Nous avons ainsi le plaisir de retrouver les costumes vénitiens et les épées dignes de Roméo et Juliette!

Outre l’immense plaisir de retrouver (enfin!) une mise en scène qui n’a pas peur de respecter le cadre spatio-temporel de l’oeuvre, il nous faut saluer ici la simplicité efficace de la lecture de Nadine Duffaut : en fond de scène se découpe à travers un rideau de tulle, dont les contours font penser à ceux d’une caverne, un décor de ville qui fait effectivement penser à Venise, même s’il est vrai que rien ne la rappelle spécifiquement. Le choeur restera dans cette arrière-scène à chacune de ses interventions, marquant véritablement l’espace comme un espace public. Si ce dernier semble un petit peu étriqué, cela ne gène finalement pas beaucoup visuellement. Au fur et à mesure de l’avancé de l’opéra, des murs viendront progressivement cacher le décor, éclairés par une lumière rouge, donnant une impression d’enfermement parallèle à celle du mécanisme tragique et de ses rouages qui se referment sur les protagonistes du drame. En avant scène, l’espace est sombre et nu, une chaise seule trônant côté court durant la première partie, tandis qu’un escalier permet d’entrer sur la scène par son dessous. Cet espace plus sobre sera finalement la scène pour les partie plus privées où évoluent les solistes. Seule exception à cette règle : la scène de combat entre Romeo et Tebaldo qui se tiendra dans l’arrière-scène avant d’être interrompu par le cortège de Giulietta traversant la ville pour ensuite venir à l’avant-scène, dépourvue cette fois de chaise et lieu de sépulture. Les ballets sont quant à eux également présents, même s’ils restent assez simples, offrant au public un spectacle continu sans aucun temps mort. Une belle réussite dans la simplicité donc.

Côté solistes, Julien Dran offre un Tebaldo à la projection un peu renfermée, notamment dans les débuts, mais la ligne de chant reste claire et se fait mieux entendre au fil de la soirée. Le jeu est, quant à lui, tout à fait convaincant, de même que celui de Nicolas Courjal, implacable Capellio dont la haine viscérale à l’encontre des Capulets et de Romeo conduira sa fille à la mort et reste le seul véritable obstacle de la tragédie à une fin heureuse (l’amour de Tebaldo serait sans cela un problème minime). La basse offre une véritable ampleur, tant scénique que vocale, à ce personnage dont on se demande toutefois ici s’il aime réellement sa fille. Antoine Garcin tient pour sa part le rôle de Lorenzo, ami du couple et deuxième basse de la soirée. Là aussi, la projection est claire, et la mise en scène appuie le livret sur l’explication donnée pour son silence auprès de Romeo concernant son plan : il est physiquement arrêté et emmené par les hommes de Capellio.

L’un des couples les plus célèbres de tous les temps est quant à lui interprété par Karine Deshayes et Patrizia Ciofi. La première a triomphé il n’y a pas longtemps lors de sa prise de rôle dans Armida (malgré la mise en scène de Mariame Clément) et connaissait déjà ce rôle de Romeo. Elle donne ainsi une prestation à la hauteur des attentes et de sa renommée : un Romeo dont l’amour paraît sincère, et l’on ne doute pas un instant de l’investissement de la mezzo-soprano. Bien que, physiquement, il reste difficile de croire à sa masculinité (mais nous ne pouvons tout de même pas en blâmer Karine Deshayes, même si sa démarche pourrait peut-être être légèrement plus travaillée pour estomper sa féminité), on se laisse totalement emporté par la voix et le jeu de l’artiste. Sa technique lui permet même de combattre à l’épée (ou rapière, malgré le fait que la lame soit ici plus épaisse que d’habitude pour être vue dans la salle) tout en chantant. Si l’enchaînement n’est pas des plus complexes, il faut saluer la performance de la coordination entre celui-ci et la réussite du chant. L’amour, la fierté, le désespoir et la colère coulent bel et bien dans ce dernier, et la scène de la mort de Romeo est absolument déchirante : comment ne rien ressentir en voyant cet amant se traîner au sol vers sa bien aimée simplement pour la sentir une dernière fois avant d’expirer?

Nous ne cacherons pas que, concernant la Giulietta de Patrizia Ciofi, nous venions avec beaucoup de réserves : nous ne comprenions pas ce choix de la part de l’Opéra de Marseille pour le rôle de cette jeune fille innocente (nous nous souvenons, par exemple, de la formidable interprétation d’Olga Peretyatko à Lyon en 2011 dans ce même rôle en version de concert). Finalement, si l’âge peut un petit peu gêné, ce point est ici compensé par la formidable interprétation scénique de la soprano. Nos craintes sur la voix ont quant à elles été un petit peu estompées : certes, certains aigus ont été sacrifiés, la soprano semblant avoir de plus en plus de mal à les atteindre, certes, certains autres étaient quelque peu métalliques et parfois à la limite du strident (sans toutefois y basculer), certes, l’ont ne sentait plus dans la voix toute l’agilité et la légèreté attendues pour ce rôle de bel canto et, plus que tout, certes, nous entendons la fatigue de cette voix maintenant “usée” dans certaines notes quelque peu “enrayées”, mais malgré tout cela, il serait injuste de ne pas saluer le fait que le travail est bel et bien accompli. Loin de la catastrophe que fut sa Zelmira lyonnaise, Patrizia Ciofi nous offre une Giulietta convaincante, au jeu tout simplement excellent, parvenant à donner un touchant “Oh! quante volte” (qui est probablement le plus beau chant d’amour qui existe). Malheureusement, pour beaucoup de ceux et celles l’ayant déjà entendu, il est difficile de ne pas avoir un léger regret quant à la sublimation de cet aria qui pourrait être faite.

Enfin, il faut ici saluer la direction de Fabrizio Maria Carminati qui emporte l’Orchestre de l’Opéra de Marseille à son sommet avec une grande écoute et une grande réactivité de sa part : à peine entend-on un très léger déséquilibre dans les cuivres qu’il est corrigé. Il laisse l’orchestre s’exprimer mais le calme pour laisser place aux voix lorsque celles-ci interviennent, le tout dans une belle continuité qui ne peut que porter l’ensemble de la production et jouer un rôle important dans sa réussite. Le choeur d’hommes de l’Opéra, pour sa part, est également à saluer, condamnant implacablement Capellio dans le terrible “da te, spietato” final.

Une très belle production donc, admirablement servie par une mise en scène qui nous offre (enfin!) une version vénitienne toute en cape et en épée (avec combats à la clef), par une direction, un orchestre et un choeur tout aussi investis que les solistes, offrant une soirée au service de l’oeuvre qui ne vous fera pas regretter votre venue!

Infos pratiques

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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