Opéra
GerMANIA, fresque historique en création à Lyon

GerMANIA, fresque historique en création à Lyon

01 June 2018 | PAR Gilles Charlassier

Quatre ans après la première française de Cœur de chien, l’Opéra national de Lyon remet Alexander Raskatov à l’affiche et présente la création mondiale de GerMANIA, commande de Serge Dorny au compositeur russe à partir de deux volets de la fresque Germania de Heiner Müller. Un voyage dans les horreurs totalitaires du vingtième siècle, servi par une écriture vocale et orchestrale foisonnante.

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On assigne divers objectifs à la création contemporaine, et les esthétiques à l’affiche peuvent s’en ressentir. Le tropisme en cour à l’Opéra national de Lyon semble incliner vers l’engagement politique et mémoriel. En témoignent les commandes à Thierry Escaich, Claude, en 2013, ou à Michel Tabachnik, Benjamin, dernière nuit, en 2016. Avec GerMANIA, on retrouve une fascination pour la Seconde Guerre Mondiale, qui se déploie ici dans une fresque balayant un demi-siècle de totalitarismes, jusqu’à la chute du soviétisme en 1991.
Pour autant, le livret que le compositeur a tiré des deux pièces de Heiner Müller, Germania Mort à Berlin, et Germania 3 Les Spectres du Mort-homme ne tient pas d’une frise chronologique régulière, pas plus que l’original littéraire, juxtaposant les séquences sans souci d’apparente continuité dramatique. En réalité les saynètes se suivent selon des affinités plus ténues et diverses, développant des jeux formels, contrastes ou effets de miroirs – ainsi la troisième scène enchaîne un duo de soldats russes, un de soldats allemands, un trio de bidasses germaniques, avant l’apparition à la quatrième de trois dames, que l’on imaginerait bien être les veuves des trois combattants de Stalingrad. Le spectateur se fraie alors un chemin dans cette suite de tableaux, qui ne prend un relief véritable qu’à partir de cette fameuse scène IV, après de longs développements pour hommes seuls qui confinent à une relative monochromie.
Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si cette introduction des voix féminines constitue l’un des pivots de l’ouvrage. Au-delà de la dynamique théâtrale, la facture même du morceau s’inscrit dans la lignée de grands numéros du répertoire, de La Flûte enchantée au Ring des Nibelungen. Pour procédé que puissent résonner les grands intervalles où finissent par se caricaturer les nymphes décaties, ce jeu à l’extrême des tessitures, entre le souffle aigu de Sophie Desmars, le grain expressif d’Elena Vassilieva et les raucités de Mairam Sokolova, dépeint de manière très efficace les personnages. C’est d’ailleurs dans cet instinct de la dramaturgie vocale que s’illustre le génie de Raskatov, résumant les incarnations à quelques motifs ou tics d’écriture, à l’exemple du Staline basse profonde de Gennadii Bezzubenkov, du Hitler ténor aigu hystérique de James Kryshak, impressionnant d’engagement, ou encore du Géant rose, autre ténor haut en couleurs dévolu à Karl Laquit, parmi pléthore de rôles – et de solistes, qui, à de rares exceptions près, en assument plusieurs au gré de l’oeuvre, véritable maelström historique, enrichie par des parties de choeurs, restituées sous la houlette de Karine Locatelli.
L’autre facette de l’inspiration du compositeur russe s’entend dans la facture orchestrale, véritable pendant à la profusion stylistique des voix. La connaissance encyclopédie des techniques et des effets ne cherche pas la simple démonstration virtuose, mais élabore un puzzle musical à la mesure de celui, historique, de l’argument, que détaille avec soin la direction attentive d’Alejo Pérez. On ne s’étonnera pas, par exemple, de voir des fragrances de jazz s’acoquiner avec l’horreur guerrière et totalitaire, ou l’empreinte d’un Chostakovitch. En somme c’est cette synthèse hétérogène, prolongation du travail de Coeur de chien, qui fait le prix d’une création peut-être un peu alourdie par le premier degré soigné et évocateur avec insistance de la mise en scène de John Fulljames, conçue autour d’un amas rotatif, dessiné par Magda Willi, et dont le sinistre morbide est souligné par les lumières de Carsten Sander. GerMANIA méritera, en tous cas, une seconde écoute, pour mieux mesurer la maîtrise, au-delà des inerties dramaturgiques – ce qui rappelle l’importance de ne pas limiter la commande lyrique à une simple bonne conscience.

Gilles Charlassier

GerMANIA, Raskatov, mise en scène : John Fulljames, Opéra national de Lyon, du 19 mai au 4 juin 2018

©Opéra de Lyon

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Gilles Charlassier

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