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Fantasio ré-ouvre l’Opéra Comique au Châtelet : une Jolly réussite!

Fantasio ré-ouvre l’Opéra Comique au Châtelet : une Jolly réussite!

14 February 2017 | PAR Elodie Martinez

Nous l’attendions depuis longtemps, le rendez-vous était bien pris et nous y étions bien sûr : l’Opéra Comique rouvrait dimanche dernier…. au Théâtre du Châtelet, les travaux de la salle Favart n’étant toujours pas terminés et ceux du Châtelet débutant donc après cet opéra. Pour cet événement, Offenbach était convié avec l’une de ses oeuvres rares, à savoir Fantasio. Le plateau, majoritairement jeune, était sous la houlette du non moins jeune Thomas Jolly qui ne nous avait cependant pas convaincu avec son Eliogabalo. Que l’on se rassure, si l’on avait alors trouvé son travail “inabouti”, celui effectué sur Fantasio nous a entièrement conquis et ouvre brillamment la nouvelle saison de l’Opéra Comique! 

[rating=4]

L’oeuvre créée en 1872 ne connut malheureusement pas de grand succès et ne passa pas la quinzaine de représentations entre Paris et Vienne avant de sombrer dans l’oubli, la partition se trouvant même disséminée, voire brûlée dans l’incendie de l’Opéra Comique. Ce n’est que très récemment que le travail de musicologues (et plus précisément Jean-Christophe Keck, spécialiste du compositeur) ont permis de redécouvrir les oeuvres plus sérieuses d’Offenbach, dont Fantasio, inspiré de la pièce éponyme de Musset et dont le livret fut rédigé par son frère, Paul de Musset. La partition fut quant à elle reconstituée en 2013. Ecrite peu de temps après le conflit franco-prussien de 1870, on retrouve tout au long de l’oeuvre une certaine mélancolie, des interrogations sur les absurdités de la guerre, sans pour autant totalement délaisser un certain comique.

L’histoire est relativement simple : la guerre est enfin finie, le roi de Bavière venant de sceller la paix avec le prince de Mantoue en lui offrant sa fille, la princesse Elsbeth, en mariage. La pauvre est toutefois fort attristée depuis la mort récente de son bouffon. Côté peuple, nous retrouvons une bande de joyeux lurons menée par Fantasio, un étudiant criblé de dettes croquant la vie à pleine dent mais souhaitant changer de situation. L’opportunité se présentant, il décide de prendre la place du bouffon défunt et de guider la princesse afin qu’elle suive son coeur et non la raison d’état. L’un de ses tours va malheureusement trop loin et il ravive la flamme guerrière du prince de Mantoue (ayant échangé son costume avec son aide de camp afin de passer inaperçu). Il est alors jeté en prison, mais s’enfuit, notamment grâce à l’aide de la princesse. De retour parmi le peuple prêt à prendre les armes pour le libérer, il livre un touchant plaidoyer pour la paix, adressé non pas au choeur mais bien au public de la salle, avant que tout ne finisse dans la bonne humeur, le prince renonçant à la guerre, Fantasio étant fait comte puis prince avant de finir roi des fous dans une grande fête.

La mise en scène de Thomas Jolly nous fait partir d’un univers sombre, tout en nuance de gris en reflet à la situation initiale pour nous faire arriver finalement, petit à petit et sans gros sabot à un final emprunt de couleurs et de joie. Un univers métallique décalé, notamment avec ce focus s’ouvrant et se fermant sur un château découpé en contre-jour en haut des marches, avec des déplacements d’une grande précision, ou encore une prison amenée sur scène en forme de cercle (même forme que les pistes de cirque) et dont les barreaux permettent à Fantsio d’entrer et sortir afin de ne pas oublier le comique de l’oeuvre, le tout sur des lumières restant sombres pour ne pas oublier la mélancolie omniprésente de la partition et sur fond de maquillages pâles aux orbites légèrement accentués…. Un travail de mise en scène très intelligent, attaché tant au livret qu’à la partition, cherchant à mettre en avant l’oeuvre et non le metteur en scène, et surtout efficace, le tout nous faisant quelque peu penser à l’univers décalé de Tim Burton. Bref, scéniquement, c’est une véritable réussite!

Côté voix, Marianne Crebassa, récemment auréolée du trophée d’artiste lyrique de l’année aux dernières Victoires de la Musique Classique, tient avec brio le rôle-titre, d’abord par sa voix au timbre ambré, permettant des graves veloutés et assurés d’une très belle couleur tout autant que des aigus parfaitement tenus et agiles. Son jeu, ensuite, confère une crédibilité et une véritable existence à son personnage, notamment grâce à une parfaite maîtrise de sa tenue mais aussi grâce à de nombreuses mimiques et positions plus ou moins clownesques sans jamais partir dans l’excès, entre position faussement maladroite (comme lorsque Fantasio coince son chapeau entre des barreaux), naturellement désinvolte, ou encore le jeu de ses mains effectuant quelques “courbettes”… Un jeu digne de la grande interprète qu’elle est et qui nous rappelle l’actrice exceptionnelle qu’est Marianne Crebassa, en plus d’être une voix non moins exceptionnelle.

Marie-Eve Munger est à ses côtés une princesse Elsbeth tiraillée entre ses devoirs de princesse et ses désirs personnels, à l’aise dans les vocalises, au timbre quelque peu métallique dans les aigus que l’on appréciera ou non, mais à la projection malheureusement pas toujours très assurée, bien qu’elle parvienne naturellement à se faire entendre par-dessus l’orchestre. Franck Leguérinel offre pour sa part au roi de Bavière une voix magnifiquement audible tant dans le parlé que dans le chanté, totalement à l’aise dans un répertoire qu’il maîtrise parfaitement, de même que Jean-Sébastien Bou dans le rôle du prince de Mantoue. Son phrasé soigné sied à son personnage qui lui offre l’opportunité de diverses facéties et extravagances. A ses côtés, Loïc Félix tient le rôle de son aide de camp Marinoni et donne également de sa personne, permettant un duo comique qui fonctionne très bien. La voix est quant à elle assez lumineuse et claire.

Parmi les rôles secondaires, Bruno Bayeux est Rutten, le tailleur et le garde Suisse, marquant chacun de ses personnages d’un humour fort plaisant (nous nous souvenons par exemple de la scène en prison où il entonne avec son accent “Ah les cro-cro-cro, les cro-cro-cro, les crocodiles” aux côtés de la suivante de la princesse). Nous ne retiendrons cependant pas Enguerrand de Hys, Flannan Obé et Philippe Estèphe respectivement dans les rôles de Facio, Hartmann et Sparck, peinant à passer l’orchestre mais participant par leurs jeux à la réussite de l’ensemble.

Un fort “Jolly” Fantasio donc, à la hauteur de l’attente et de l’événement qu’est la réouverture de l’Opéra Comique (même si cela se passe au Châtelet) et auquel nous vous invitons à assister sur place jusqu’au 27 février, ou bien sur Culturebox le 22 février ou encore sur France Musique le 19 mars!

©Pierre Grosbois

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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