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Création haute en émotions à Saint-Etienne

Création haute en émotions à Saint-Etienne

05 May 2018 | PAR Gilles Charlassier

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Evénement de la saison stéphanoise, la création commandée à Benoît Menut, Fando et Lis, sur une pièce homonyme de Fernando Arrabal adaptée par Kristian Frédric, également metteur en scène du spectacle, affirme un authentique lyrisme que l’on attend pas toujours dans la musique contemporaine.

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C’est un projet longuement mûri par Eric Blanc de la Naulte que de remettre sur les rails de la création contemporaine l’Opéra de Saint-Etienne, dont il est le directeur. L’ouvrage de Benoît Menut, Fando et Lis, initie ainsi un rendez-vous biannuel avec un nouvel opus lyrique – un rythme qui se calque sur celui de la biennale Massenet, à laquelle il se substitue peut-être. Si certaines maisons courent après certaines avant-gardes plus ou moins autoproclamées, Saint-Etienne fait d’abord confiance à la force dramatique. En choisissant une adaptation d’une pièce homonyme de Fernando Arrabal, Fando et Lis, on prend le parti d’un imaginaire fort et baroque empreint de l’hétérogénéité fantasque du Panique, mouvement littéraire en réaction au fascisme, qui compte l’écrivain espagnol au nombre de ses fondateurs. Egalement à la mise en scène, Kristian Frédric en restitue la saveur inimitable dans son livret.
L’intrigue plonge dans un no man’s land post apocalyptique : sur fond d’errance vers une improbable destination, Tar, on assiste à la déliquescence d’une histoire d’amour, Fando traînant sa femme Lis, devenue paralytique et presque muette, dans une charrette, comme la mémoire de la beauté qu’elle fut, entraperçue dans le Prologue, vêtue d’une robe rouge. Sous le regard ironique de corbeaux, la scénographie sobre et sombre de Fabien Teigné, rehaussée par les lumières de Nicolas Descoteaux, et les costumes de Marilène Bastien, assume l’hébétude onirique de l’argument sans chercher à masquer les séquences crues, à l’exemple de la scène d’autopsie, à la fin. Si l’on peut parler de surréalisme, ce serait davantage celui de Ernst ou Dali, plutôt que le mutisme mystérieux d’un Magritte – que l’on aurait pu aussi solliciter. Ici, le rire et la tendresse s’accouplent sans préliminaires avec la cruauté.
Pour être un premier opéra, la partition de Benoît Menut, qui a été couronné par la SACEM par un Grand Prix de la musique symphonique dans la catégorie jeune compositeur (il a aujourd’hui 41 ans), témoigne d’une évidente maîtrise du genre, tant du point du vue de l’écriture que de la forme. Il ne manque aucun des attendus, numéros pour solistes – airs, rondos ou ballades –, duos et pages chorales admirablement construites, servies avec brio par le Choeur lyrique Saint-Etienne Loire. Cet encyclopédisme pourra paraître ça et là démonstratif, sans jamais cependant altérer la gourmandise d’une sensibilité mélodique et contrapuntique indifférente aux obsolètes querelles de chapelle autour de l’atonalité. La facture orchestrale sait tirer parti des ressources expressives et suggestives des couleurs instrumentales, mises en valeur par la direction précise de Daniel Kawka, à la tête de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire.
Dans les deux rôles-titre, Mathias Vidal résume l’ambivalence de Fando, jusque dans la remarquable finesse d’une partie vocale exigeante. A ses côtés, Maya Villanueva fait rayonner par son timbre aérien le désespoir de Lis. Pierre-Yves Pruvot en Mitaro, Nicolas Certenais en Namur et le Toso de Mark van Arsdale forment un croquignolesque trio, dans la dérision de la marge de l’action. Les voix, parlées, de Natalie Dessay, sortie de la carrière de cantatrice mais non du monde lyrique, et Roman Bertran van Craenenbroeck, mère et fils essayant une morale, referment un spectacle qui prend progressivement son rythme de croisière, et fait regretter l’absence actuelle de coproducteur : trois représentations, c’est peu pour une création qui en mériterait bien davantage. Pour ce qui est du compositeur, un deuxième opéra est en tous cas en vue.

Gilles Charlassier

Fando et Lis, Benoît Menut mise en scène : Kristian Frédéric, Opéra de Saint-Etienne, du 2 au 6 mai 2018

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Gilles Charlassier

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