Opéra
La création française du Pavillon d’or de Toshiro Mayuzumi à Strasbourg

La création française du Pavillon d’or de Toshiro Mayuzumi à Strasbourg

26 March 2018 | PAR Victoria Okada

En cette fin mars jusqu’à la mi avril, on assiste à un événement à l’Opéra National du Rhin, à Strasnbourg et à Mulhouse : la création française du Pavillon d’or, opéra de Toshiro Mayuzumi, d’après le roman de Yukio Mishima. L’œuvre est hypercentrée sur le protagoniste, Mizoguchi, rôle tenu avec merveille par Simon Bailey.

La puissance dans la musique de Toshiro Mayuzumi
C’est plus de 40 ans après sa première mondiale que Le Pavillon d’or, considéré comme une œuvre lyrique majeure d’un compositeur japonais, voit le jour sur le sol français. Créé au Deutsches Oper Berlin en juin 1976, l’opéra est chanté en allemand, sur un livret du compositeur et de Claus H. Henneberg.
La musique de Toshiro Mayuzumi (1929-1997) frappe par son intensité et diversité, par une puissance dans laquelle le spectateur est totalement entrainé, car il n’y a pas un instant de répit. Des motifs rythmiques, répétés avec beaucoup de variété, et des harmonies tantôt très tonales tantôt dissonantes, jouent souvent une sorte de toile de fond sur laquelle se superposent les mélodies atonales à des envolées lyriques étonnante. Ces mélanges de base tonal-atonal sont ponctués de musiques de styles très différents : jazz, chant rituel bouddhique (avec des percussions bien spécifiques comme tamtam ou mokugyo), déclamation, chansons populaires… Son éclectisme vient de sa formation et de ses expériences : étudiant au Japon, il se produit comme pianiste dans un groupe de jazz et écrit des musiques de film, sous influence de Debussy, de Milhaud, de musique de Gamelan ou de modern jazz ; à Paris, dans les années 1950, il est élève de Tony Aubin au Conservatoire et découvre la musique concrète et électronique ainsi que celle d’avant-garde de toute sorte qu’il introduit ensuite activement au Japon. Le Pavillon d’or est une sorte de condensé de ces tendances dont il se nourrissait et cultivait, sans que cela soit disparate, malgré le livret peu adapté à l’opéra. Chaque style musical est en phase avec chaque scène et évoque l’état ou la psychologie des personnages. Et c’est de là que tiennent sa puissance et sa cohérence musicales qui, encore une fois, nous happent.

La mise en scène esthétique et efficace

La mise en scène de cette nouvelle production est confiée à Amon Miyamoto, un artiste sans frontière et « fourre tout » (dans le meilleur sens du terme), qui va du street play à l’opéra, en passant la comédie musicale, le théâtre nô, la lecture théâtralisée ou encore le cinéma. Sa mise en scène de La Flûte enchantée de Mozart en Autriche (2013) a même été portée en jeu vidéo (2015) et obtenu trois prix aux Pocket Gamer Awards de Londres la même année. En octobre 2016, il associe pour la première fois le théâtre nô aux images 3D dans son spectacle Yugen : The Hidden Beauty of Japan, à Singapour (qui sera présenté à Versailles en septembre prochain). En juillet 2017, la lecture théâtralisée sur la vie de Hokusai, Fanatic Artist Hokusai, a été créée au British Museum.
Autant dire que la créativité ne lui manque pas, comme en témoigne la production strasbourgeoise. La scène est « cernée » par trois murs (décors de Boris Kudlicka), comme pour symboliser l’univers psychologique fermé de Mizoguchi. Des deux murs de côtés sortent des « modules » mobiles servant de différentes scènes : maison familiale, temple, chambre de Kashiwagi (ami de Mizoguchi), grands escaliers… La vidéo réalisée par Bartek Macias est projetée aux moments clé de l’histoire, à commencer par image du temple Kinkaku-ji, le Pavillon d’or. Mais encore : le feu que prend l’édifice religieux dans la pensée de Mizoguchi et dans son action finale, la bombe atomique, la pluie torrentielle, la neige… L’imaginaire et la réalité des personnages se croisent, sans que cela ne soit jamais envahissant, comme le fait d’ailleurs la musique. On découvre à travers cette mise en scène un fin connaisseur de la dramaturgie, du théâtre qu’est Miyamoto.

Le drame est centré sur Mizoguchi, nous l’avons dit, assumé par la magnifique prestation de Simon Bailey. À la fois complexé et confus, violent et impuissant, ce personnage exige des facettes contradictoires de caractère, donc de voix, dans lesquelles le baryton britannique réussit admirablement. Autour de lui, des personnages secondaires mais tout aussi puissants comme Le Père (Yves Saelens), La Mère (Michaela Schneider), et surtout l’ironique et cynique Kashiwagi (Paul Kaufmann).
Coproduit avec Tokyo Nikikai Opera Foundation, l’opéra fait appel à certains chanteurs japonais appartenant à cette institution majeure nippone, fondée en 1952 comme collective de chanteurs et devenue une fondation en 1977 pour la production et la diffusion d’opéra. C’est le cas de Fumihiko Shimura, majestueux Abbé Dozen et de Makiko Yoshime, ravissante Jeune Fille mais avec des vibratos assez gênants.
Le chœur de l’Opera National du Rhin, homogène, offre une masse vocale pour accentuer définitivement la puissance musicale. L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, après la gigantesque production en concert des Troyens de Berlioz de l’année dernière (notre chronique disque ici), se distingue décidément pour sa force et pour son efficacité, sous la baguette averti et inspiré de Paul Daniel qui ne cache pas son enthousiasme face la richesse de cette partition.

Dates à venir : Strasbourg, Opéra National du Rhin, 27, 29 mars et 3 avril ; Mulhouse, La Filature, 13 et 15 avril.

Le Pavillon d’or
Opéra en trois actes, livret du compositeur et de Claus H. Henneberg d’après le roman de Yukio Mishima, musique de Toshiro Mayuzumi
Direction musicale Paul Daniel
Mise en scène Amon Miyamoto
Décors Boris Kudlicka
Costumes Kaspar Glarner
Lumières Felice Ross
Vidéo Bartek Macias
Avec :
Mizoguchi Simon Bailey
Tsurukawa Dominic Große
Kashiwagi Paul Kaufmann
Le Père Yves Saelens
La Mère Michaela Schneider
Abbé Dosen Fumihiko Shimura
Uiko Fanny Lustaud
Jeune homme François Almuzara
Jeune fille Makiko Yoshime
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg

Photos © Klara Beck

Infos pratiques

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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