Opéra
Carmen à l’Opéra de Lyon : le retour…

Carmen à l’Opéra de Lyon : le retour…

04 May 2015 | PAR Elodie Martinez

Le public lyonnais se souvient de la Carmen mise en scène par Olivier Py en 2012 qui avait suscité tant de réactions, partagées pour ce qui est de la mise en scène mais unanimes pour la déception face aux voix présentées, surtout face à une Carmen que l’on ne peut malheureusement pas qualifiée “d’interprétée”  ou encore moins “d’incarnée” par José Maria Lo Monaco. L’oeuvre n’avait alors pas été jouée à Lyon depuis 1996 et l’on se demande pourquoi l’Opéra a décidé de remettre cette production à l’affiche moins de trois ans après. Etait-ce pour ne pas rester sur une mauvaise impression?

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La mise en scène d’Olivier Py ne laisse pas indifférent et divise toujours autant : on crie au génie ou bien à l’indignation. Difficile de toucher à Carmen sans en froisser certains qui s’accrochent à une vision assez fermée et n’aiment pas que l’on sorte des sentiers battus. Il est vrai que le metteur en scène innove véritablement ici : Carmen, meneuse de revue au Paradis Perdu, cabaret parisien aux personnages parfois étranges (on s’interroge par exemple sur la présence de ce gorille), contrebande où les hommes se déguisent en femmes, sans parler d’un Don José costumé en clown. Pourtant, cela fonctionne malgré les petites contradictions avec les paroles chantées (on parle par exemple de fleur lorsque c’est un gant sur scène). Cependant, une mise en scène qui fait parler d’elle et divise n’atteint-elle pas son but en interpellant, interrogeant et poussant à la discussion et à l’argumentation?

Kate Aldrich reprend ici le rôle-titre. Si sa prestation scénique dans Idoménée laissait craindre un jeu trop raide, nous voilà rassuré : c’est une Carmen qui s’assume qui apparaît, paraissant tout à fait à l’aise malgré la mise en scène “osée”. Nous voyons là une vraie incarnation, même si, malheureusement, nous n’atteignons pas encore une grande Carmen. La voix est très intéressante, très profonde mais peut-être trop pour laisser aller à la chaleur envoûtante du personnage et les premiers mots des airs semblent souvent incertains alors que les suivants sont tout à fait clairs. Il n’y a cependant pas à se plaindre car la mezzo nous entraîne malgré tout dans l’histoire et reste crédible du début à la fin.

Don José (Arturo Chacon-Cruz) ne convainc quant à lui pas spécialement : le jeu est crédible mais sans plus, la prononciation est souvent approximative, l’accent est très -voire trop- présent malgré un travail que nous ne remettons absolument pas en cause, et la voix est beaucoup trop puissante, semblant parfois obliger les autres chanteurs à forcer davantage pour se faire entendre. Certes, la puissance est donc bien là, mais elle ne paraît pas encore complètement maîtrisée et nous avons parfois l’impression d’un chanteur tentant de se mettre en avant, quitte à ce que ce soit peut-être au détriment des autres chanteurs. Il manque certaines nuances malgré une voix prometteuse. On se demande pourquoi Pierre Doyen, tenant le petit rôle de Moralès, n’a pas échangé sa place avec Arturo Chacon-Cruz : son interprétation du personnage laisse entendre des notes claires et une technique apparemment maîtrisée. Malheureusement, nous en entendons trop peu pour pouvoir réellement juger sur la longueur…

Escamillo (Jean-Sébastien Bou) tient parfaitement son rôle même si, là aussi, on aurait peut-être apprécié un tout petit peu plus de puissance dans la voix, sans pour autant que cela manque de trop, à l’image du reste des personnages masculins.

La Micaëla de Sophie Marin-Degor est ici moins convaincante que le personnage de 2012. Lors de son air du troisième acte, elle prend les mauvaises habitudes de Don José : la prononciation n’est pas toujours au mieux et la puissance vocale paraît démesurée, surtout pour ce passage. Nul doute que le trac y est pour quelque chose, comme l’appuie la faute d’écriture lorsqu’elle peint “Tout donnner”. Probablement que cela ira mieux lors des prochaines dates, une fois le stress de la Première passée.

Il faut également saluer la Maîtrise de l’Opéra de Lyon excellente ici, tant dans le jeu que dans le chant, alors que les chœurs, habituellement impressionnants, paraissent en-dessous de leur niveau habituel, tout en restant bien sûr très bons. Est-ce dû au fait de la reprise ou bien à la direction de Nicolas Krüger?

Enfin, côté direction musicale, avouons une certaine déception : Riccardo Minasi, pourtant si dynamique habituellement (comme lors du récital de Joyce DiDonato) laisse entendre ici une certaine lourdeur et comme un poids dans la musique. Espérons que cela n’était que passager.

Pour conclure, cette reprise de Carmen laisse un sentiment mitigé même si elle est bien meilleure que la précédente, principalement grâce à Kate Aldrich qui n’a pas peur d’interpréter et ne se freine pas sur scène. Le travail d’Olivier Py reste parfois beaucoup trop riche et peut fatiguer, comme lorsque Manuelita continue d’être poursuivie sur scène alors que s’y trouvent Carmen et Don José. Cette vision de l’oeuvre n’en reste pas moins très intéressante et le finale interroge au moins tout autant que le reste. Ici, la vie est un théâtre, comme l’affirmait La Fontaine. Malheureusement, dans l’ensemble, “ce n’est pas encore tout à fait ça”…


Vidéo de 2012

©stofleth

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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