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Une Alice survitaminée pour donner du sens à 2015

Une Alice survitaminée pour donner du sens à 2015

31 December 2015 | PAR Araso

Alice et autres merveilles est une création de la troupe du Théâtre de la Ville qui revisite le classique de Lewis Carroll en mettant à l’honneur son incroyable modernité dans un spectacle pour enfants. Une mise en scène qui s’adresse aux adultes au moins autant qu’aux plus jeunes (sept ans et plus), osée, vitaminée et qui relève le défi des contraintes techniques imposée par une histoire aux imbrications multiples. Une Alice version 2015 qui tente de donner du sens à ce territoire instable qu’est le monde des adultes.

[rating=3.5]

Mais qui est Alice, cette éternelle petite fille âgée de 150 ans? La communication visuelle du Théâtre de la Ville rassure d’emblée: pas question de tomber dans le piège du spectacle pour enfants à la guimauve qui colle et qui sent la barbe à papa. Alice est, comme elle le dit elle-même “une petite fille moderne”. Le remarquable travail de dramaturgie Fabrice Melquiot et la mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota se concentre sur l’apprentissage par Alice du monde des adultes, dont elle ne maîtrise ni la langue, ni les codes. Elle va donc tenter, avec ses mots à elle, de lui donner un sens. “Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un?” (in Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, brochure du spectacle). Qu’est-ce qui rend ce monde si compliqué?

Tout d’abord, les enfants abordent le monde des adultes remplis de mythes (“un mythe, c’est un trou dans un vêtement”) cousus sur le tissu de la bienséance et du bien-pensant pour anesthésier la raison et fabriquer des clones. Alice et autres merveilles fait valser ces mythes en ponctuant l’histoire d’incursions désopilantes d’icônes de l’enfance, et questionne la place des contes dans l’éducation. Un petit chaperon rouge jaloux de la popularité d’Alice lui révèle que contrairement à la légende, le méchant n’est pas le loup mais sa grand-mère qui lit son courrier et l’envoie faire des courses qui n’en finissent plus. Une Barbie tout en paillettes tente du haut de son 43 de QI de dissuader Alice de lui faire concurrence sur le marché des jouets (géniale scène de l’échelle). Pinocchio émerge d’un raz-de-marrée: lassé d’être un pantin il descend à Bergerac pour jouer Cyrano et draguer Roxane (très belle performance d’Olivier le Borgne). Reste à découvrir un Grand Méchant Loup mélange de dandy et d’Edouard aux Mains d’Argent.

Alice au pays des merveilles a été publié originellement sous la forme d’un conte pour enfants afin d’échapper à la censure de l’Angleterre victorienne et distiller un sens de la révolte. Comme dans le livre de Lewis Carroll, la pièce souligne l’importance donnée aux mots et la maîtrise de langue comme instrument de pouvoir. Ainsi, Alice se retrouve confrontée à un langage de plus en plus difficile à déchiffrer. Elle prend part à une course au “Caucus” éperdue sans savoir après quoi elle court, métaphore parfaite du monde moderne. Elle se voit contrainte d’attribuer arbitrairement un côté droit et un côté gauche à champignon circulaire, scène qui en 2015 fait écho aux injonctions contradictoires qui polluent le monde de l’entreprise. In fine, Alice découvre que le sens de tous ces vocables est souvent creux.

Si le propos est limpide, juste et efficace, fidèle au manifeste de Lewis Carroll, la mise en scène ne fera pas l’unanimité. Le travail de scénographie d’Yves Collet réussit le pari ambitieux de mettre en musique les rétrécissements et rapetissements d’Alice (qui l’épuisent, tout comme le font dans la vie des adultes, les montagnes russes émotionnelles d’une société qui les pose alternativement en gagnants et en perdants), non sans quelques écueils. Emannuel Demarcy-Mota choisit de faire patauger ses comédiens copieusement dans l’eau toute pièce durant, belle illustration du bourbier dans lequel Alice est empêtrée et dont on pourra se lasser. Le début en fanfare s’essouffle, on souffre de quelques longueurs et d’une Alice un brin gueularde. L’amorce du spectacle est forte: on crie, on aboie, on court, on se lance, les plus jeunes en sont parfois incommodés. Enfin on regrettera la confusion finale, entre une reine qui apparaît tard, une archiduchesse flanquée d’un bébé qui se noie et un décalage entre le texte et l’image (mais où sont les hérissons dont Alice parle durant la scène de croquet?) qui crée un bel imbroglio: dommage. La bande son est principalement composée du thème du film Inception entrecoupée de classiques revisités comme Another brick in the wall tandis que le final se donne sur Mad World de Donnie Darko.

Pour faire face à la vie qui les attend, Alice recommande aux enfants de la salle deux choses: “Apprendre à rêver” et “Apprendre à dire non“. Elle aimerait pouvoir rêver tout le temps car “derrière les rêves, c’est toute une vie qui passe“. Des conseils qui résonneront certainement chez beaucoup d’adultes.

Alice et autres merveilles, au Théâtre de la Ville, jusqu’au 9 Janvier 2016.

Visuel © Jean-Louis Fernandez

 

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