Danse
“The Crimson House” de Lemi Ponifasio, un terrible et magnifique maelstrom contemplatif

“The Crimson House” de Lemi Ponifasio, un terrible et magnifique maelstrom contemplatif

06 April 2014 | PAR Yaël Hirsch

Venu des Sciences Politiques, au programme de la Cour du Palais des Papes  cet été ,au Festival d’Avignon, Lemi Ponifasio propose  actuellement une chorégraphie à la fois magnifique, exigeante et terrible sur nos sociétés de surveillance au Théâtre de la Ville. Un spectacle qu’il qualifie à raison de “maelstrom contemplatif” et qui puise dans les traditions de Samoa pour proposer quelque chose de dérangeant. A voir encore aujourd’hui, dimanche 6 avril et il reste des places!

[rating=5]

Lemi PonifasioVivant aujourd’hui à Auckland, en Nouvelle-Zélande, mais originaire de l’île de Samoa, Lemi Ponifasio et sa troupe, MAU, sont allés puiser dans les légendes de l’île pour leur nouveau spectacle qui fait l’affiche du Théâtre de la Ville, cette semaine. The Crimson House, c’est dans le livre sacré des Samoa (Fale’ula), la maison des origines, décorée avec du sang, et livrée par le grand ancêtre aux hommes comme siège du savoir et du gouvernement.

On entre dans cette maison par un tonnerre de lumière blanche et verticale rappelant le néon. Le son inaugural est fort, dérangeant (on nous a distribué des boules quies) et plante tout de suite une ambiance postmoderne très inquiétante. Quand les décibels baissent, quand l’alarme cesse, il reste un filet d’ondes qui font penser à un appareil en veille, qui donc, nous surveille. La scène est noire, à la fois sculptée de lumière, minimaliste et emplie de son et de projections. Après le premier tonnerre de lumière, l’ombre dessine une forêt où des hommes, peut-être des moines, s’avancent dans une procession à la fois hachée et ancestrale. Seules les jambes des danseurs bougent, leurs bustes parfaitement immobiles donnant l’impression d’une trajectoire linéaire, à l’image d’un char ou d’un automate. Avec leurs mains, ils claquent le rythme méditatif du sacré, et tout se passe comme si la danse que Ponifasio propose était une danse d’extrémités où le tronc, lui, est paralysé. Entre alors en scène la femme. Origine de tout, elle est projetée dans un cinéma en grand plan absolument inaugural. Présente à la fois sur grand écran et, statique sur scène, la mère aux boucles blondes et aux formes généreuses se transforme soudain en inquiétante source de dévoration. L’image de la madone semble vouloir rafler le plateau avec la main, tandis que sur scène, la danseuse perd sa perruque et se retrouve crâne nu.

Et quand elle se met à danser, vestale blanche quadrillée d’ombre, c’est déjà presque à terre, pour dévoiler un corps aussi faux et prisonnier du rythme infernal des ondes qu’on perçoit à travers le son frontal et les barreaux projetés et les cartes-mères secret défense projetées en arrière plan. Le malaise grandit, avec la  parfaite beauté formelle de la performance. Le moine fait les cent pas, la féminité aux seins faux vient s’écraser, dans une nudité parfaitement vulnérable sur un grand scanner-cercueil lumineux qui bloque son buste et laisse ses membres frétiller d’un dernier spasme : le pouvoir a prise directement sur le corps. On a dépassé la simple surveillance pour entrer dans le biopouvoir, celui qui agrippe directement la vie nue.

Encore une scansion des mains qui claquent à nouveau sur les cuisses et puis l’oppression culmine avec une scène de dévoration où, finalement, le sang d’un danseur coule. Mais il ne jaillit pas en un flux libératoire : la violence mythique s’éternise comme un supplice et le condamné au savoir roule lentement, méthodiquement, dans son sang qui se fige et fige l’aura terrible de la maison Crimson. Aucun rideau ne tombe, le son et la lumière s’arrêtent simplement, laissant le public à un vide qui le force à se demander si  ce qu’on vient de lui proposer n’est pas un cauchemar bien réel, qu’il n’a pas su percevoir auparavant. Lemi Ponifasio fait une proposition visuellement magnifique et inexorable ; son refus du divertissement, son souci politique, forcent le spectateur à faire face à ce qu’il ne veut pas voir.

“Crimson House”, Lemi Ponifasio et MAU: Ioane Papalii, Charles Koroneho, Nina Arsenault, Teataki Tamango, Bainrebu Tonganibeia, Arikitau Tentau, Kelemete Fu’a et Maereke Teteka, lumières : Hélène Todd. 1h30.

Visuel : affiche du spectacle

 

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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