Danse
<em>Sfumato</em> de Rachid Ouramdane : derrière les fulgurances, l’angoisse

Sfumato de Rachid Ouramdane : derrière les fulgurances, l’angoisse

15 November 2012 | PAR Géraldine Bretault

Depuis la fondation de sa compagnie L’A en 2007, Rachid Ouramdane n’a cessé d’affirmer l’ancrage de ses pièces dans la réalité du monde, souhaitant occuper la scène comme un espace de réflexion. Si les pièces récentes s’intéressaient aux répercussions sur le corps de la torture (Des témoins ordinaires, 2009) ou du conditionnement politique (Exposition universelle, 2011), Sfumato aborde la dégradation générale du climat et à ses conséquences dramatiques sur les populations de certaines régions du globe.

On retiendra d’abord de cette pièce la force de son introduction. Dans le noir complet, une voix féminine déclame un extrait du texte La Taïga court de Sonia Chiambretto. D’emblée, l’inquiétude s’installe, une urgence s’impose, à travers le souffle court de la lectrice, les rythmes syncopés, le chapelet de désastres annoncés qui se déroule toujours plus vite. Les sens aux aguets, nous scrutons l’obscurité, à l’affût du moindre mouvement qui viendrait soulager la tension véhiculée par ce texte. Quand la lumière fuse, nous découvrons deux corps immobiles dans le silence, un homme assis de dos, la tête renversée vers l’avant, et une femme allongée sur le flanc, qui nous tourne elle aussi le dos. Côté jardin, un piano à queue noir. De la fumée blanche s’échappe lentement du creux de leurs corps, pour gagner peu à peu la salle et emplit toute l’atmosphère. Pendant plusieurs minutes, nous contemplons la formation des volutes, à peine remis de la lecture précédente. Puis la brume immaculée vire peu à peu aux fumées sombres toxiques… L’angoisse nous étreint à nouveau.

Le mouvement surgit à travers l’incroyable solo tourbillonnant de Loro Juodkaite. Telle un fêtu de paille livrée à des vents que l’on imagine surpuissants, elle trace de plus en plus rapidement une spirale effrayante, tournant sur elle-même et accélérant jusqu’à la limite de l’étourdissement, telle une girouette affolée prise au cœur d’un ouragan. Le souvenir de Sandy traverse fugitivement nos pensées, énième symptôme des dérèglements climatiques égrenés en préambule.  Et ainsi se poursuit la pièce, entre flux et reflux, accélérations et accalmies, sans que nous ne puissions jamais nous départir de l’inquiétude qui nous a saisis dès les premières secondes pour nous abandonner à la beauté tragique des tableaux qui se succèdent. La musique confiée à Jean-Baptiste Julien, autour de sobres solos au piano, vient conférer une solennité profonde à l’ensemble, et nous assisterons encore à un époustouflant numéro de claquettes empreint d’une violence sourde, à des lieues du Singin’ in the rain frivole murmuré par le danseur, à deux solos à la limite du contorsionnisme sous une pluie torrentielle, ou encore à un sublime solo de breakdance au ralenti, dans l’eau résiduelle déposée par ce déluge.

Certes, la pièce ne se veut pas uniquement située dans le champ de la métaphore, et Rachid Ouramdane a recours à des portraits filmés en Chine, par Aldo Lee, pour donner un visage aux  nombreuses populations éloignées qui souffrent de sécheresses ou d’inondations cataclysmiques. Leurs regards perdus dans le vague se reflètent sur la scène vide, tandis que les textes lus nous exposent les désastres subis. Mais c’est peut-être la seule faiblesse de la pièce, ce déséquilibre entre la force évocatrice des moments dansés, qui parviennent pleinement à nous transmettre l’état d’urgence et d’inquiétude que pose la question du climat, et cette incursion documentaire qui peine à trouver sa place dans l’ensemble.

Les interprètes, tous brillants, ont reçu une ovation méritée.

Crédits photographiques © Jacques Hoepffner

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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