Danse
Robyn Orlin et Preljocaj à Suresnes : l’animal et le féminin

Robyn Orlin et Preljocaj à Suresnes : l’animal et le féminin

21 January 2012 | PAR Géraldine Bretault

Nous étions ce soir à Suresnes pour une soirée placée sous le signe des premières fois : première programmation de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin dans ce festival, avec With astonishment we note the dog… part 3/remix, première rencontre d’Angelin Preljocaj avec l’univers du hip hop, avec Royaume uni. Première de ces deux créations.

Les lumières s’éteignent, le noir se fait dans la salle et avec Robyn Orlin, assise dans le public, on sait qu’on peut s’attendre à tout. Un bruit de papier froissé nous parvient depuis le haut de la salle : plusieurs créatures emballées dans du papier Kraft descendent doucement les degrés au son de cors tonitruants, n’hésitant pas à s’arrêter pour quémander un peu d’affection auprès du public. Sur scène, nos personnages s’engagent alors dans un dialogue avec l’auditoire, qui tient aussi bien de la performance participative que de l’animation façon association de quartier. Le langage entretient le doute, entre interpellations effrontées du public et ébauches de récits qui abordent doucement le thème de la relation de l’homme avec le « meilleur ami de l’homme » – avant qu’un des personnages ne s’exclame « Je ne suis pas un chien, je suis un danseur ».

Et c’est ainsi que, peu à peu, la pièce, et le message de Robyn Orlin s’élaborent, entre sessions de battle et de beat box, blagues potaches et improvisations. Interrogeant la domination du maître sur son chien, le statut du danseur, celui du public, la pièce repose sur des ruptures de rythme et se joue de nos émotions ; nous ne savons plus si nous devons rire, exulter, ou pleurer. Sommes-nous une victime consentante, si l’on accepte de suivre les danseurs en laisse ? Est-il risible de se pavaner avec moult attributs canins, ou faut-il y voir un juste rappel de notre animalité profonde ?

Les danseurs aux talents multiples nous touchent par leur capacité à assumer les plus beaux morceaux de mièvrerie – au son de Chi Mai, irrémédiablement associée à une pub pour croquettes dans la mémoire collective – comme de s’admirer mutuellement, de se mettre en scène les uns les autres, par exemple en maniant les projecteurs sur le côté de la scène, ou en s’enveloppant dans les tapis devenus couvertures.

***

Après l’entracte, changement de décor – et d’ambiance. Quatre fauteuils sans garniture ni dossier nous font face au fond de la scène. Quatre femmes entrent, se détachant sur un fond lumineux dont la couleur ne cessera de changer tout au long de la pièce. Quatre danseuses issues du hip hop, sélectionnées par Preljocaj pour leur capacité à rencontrer mentalement et physiquement son univers, condition nécessaire à l’instauration d’un dialogue fructueux. C’est aussi un pied de nez assumé à la connotation masculine du hip hop. Preljocaj l’a dit, s’il ne s’était jamais approché de ce mouvement, en dépit de sa curiosité avérée, c’était par crainte de sa récupération illégitime par la danse contemporaine.

Or c’est bien l’évitement de cet écueil qui prouve la maturité des relations entre les deux mondes, consacrée par ce festival parvenu au bel âge : c’est le respect et la connaissance mutuelle des danseurs et des chorégraphes issus de ces deux univers qui permettent une véritable « contamination » réciproque, et non une appropriation servile ou une illustration anecdotique. Ainsi, le Royaume uni s’impose comme un hommage au féminin, à cet alliage si émouvant de la force et de la douceur qui composent un royaume féminin harmonieux et tactile. Les quatre danseuses portent la culture du hip hop dans leur corps, à travers un je-ne-sais-quoi à peine discernable dans leur ancrage au sol, leur puissance, leur personnalité indissoluble dans la chorégraphie si réglée et pure de Preljocaj. Une pièce impressionnante de maîtrise, qui sans cesse oscille entre abstraction dynamique et stylisation des gestes du quotidien.

Rendez-vous l’année prochaine ?

 

Visuels extraits des répétitions : en une, Robyn Orlin © Dan Aucante
Angelin Preljocaj  © Dan Aucante

 

 

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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