Danse
Rencontre avec le chorégraphe Mickaël Phelippeau, quand les danseuses  vieillissent

Rencontre avec le chorégraphe Mickaël Phelippeau, quand les danseuses vieillissent

20 March 2011 | PAR Smaranda Olcese

La question de l’age est strictement réglementée dans la danse classique. Les danseurs du corps de ballet de l’Opéra de Paris prennent leur retraite vers 45 ans. Nous avons toujours en mémoire le très beau témoignage de Véronique Doisneau dans la mise en scène de Jérôme Bel en 2004. Dans la danse contemporaine, cette problématique ouvre à une plus large palette de possibilités. Merce Cunningham, pour prendre l’exemple le plus illustre de longévité sur scène, est apparu dans ses créations jusqu’à la fin la sa vie. Ce mois-ci le festival Anticodes programmait Frances Wessels : A Portrait of 92 Years, une invitation adressée par le jeune chorégraphe et vidéaste américain Jason Akira Somma à une ancienne danseuse de Martha Graham âgée de 92 ans.
Le chorégraphe Mickaël Phelippeau crée, pour l’édition 2011 des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint-Denis,”Numéro d’objet”, une pièce nourrie de la collaboration avec quatre danseuses, Valérie Castan, Claire Haenni, Sabine Macher, Pascale Paoli, qui ont atteint l’âge où la question de la carrière et de la génération devient une donne incontournable. Cette création, qui est avant tout une histoire de rencontres, est le résultat de deux ans et demi de travail à partir du riche parcours de chacune de ces interprètes.
Une belle occasion d’évoquer cette problématique avec lui.

En quoi consiste cette pièce ?

Il s’agit de danseuses rencontrées à un moment charnière de leur carrière. Elles sont interprètes depuis au moins vingt ans, elles possèdent une force, un véritable fond d’expérience. Chacune a un passé conséquent et un futur ouvert. Tout est encore possible, mais peut être que dans dix ans, il sera trop tard pour qu’elles puissent faire un choix.
Deux des danseuses ont déjà passé des bilans de compétences. La question du marché du travail les rattrape à un moment donné de manière dure et violente : a-t-on encore des choses à faire dans le domaine de la danse, peut-on encore se renouveler, se ressourcer ? Doit-on au contraire se tourner vers autre chose ? L’une de ces deux danseuses a été confortée dans le fait qu’elle ne pouvait pas faire autre chose que de la danse, une autre s’est tournée vers la photographie.
Ces interprètes appartiennent à la génération qui précède la mienne. Nous avons beaucoup parlé du temps qui passe, du corps qui change, de la manière dont nous pouvons faire face à cette fuite du temps. Cette pièce est traversée par le rapport à la mort, à l’échéance, au fait que les choses se transforment. En même temps, elle met en lumière l’idée que ce temps qui passe peut être une force et pas nécessairement quelque chose dont on pâtit, qui nous diminue. Il y va d’histoires de transmission, mais celles-ci se conjuguent au présent de ces corps qui respirent malgré eux une histoire qu’ils ont intégrée, ingérée.

Suite à votre collaboration avec ces interprètes qu’est ce qu’on pourrait retenir de l’expérience de l’avancement en âge en tant que danseuse ?

Effectivement, l’une des danseuses m’a confié qu’elle est devenue plus fragile. Elle tient moins bien les équilibres, son corps est moins performant, mais elle a gagné en confiance et en poids, dans le sens physique du terme – elle est beaucoup plus ancrée dans le sol -, mais aussi dans une espèce de force d’investissement du mouvement dansé. La chose primordiale que je retiens de leurs expériences d’un corps qui vieillit, qui change, qui se transforme, c’est donc cette idée de force. C’est ce qu’il y a de plus beau, et en tant que spectateur, j’aime voir des personnes sur un plateau, des corps qui sortent des canons et des stéréotypes de ce que devrait être le physique d’un danseur, et non pas de simples exécutants. Aborder la question de l’âge me permet de critiquer, de m’attaquer à cet « idéal » de beauté ou de perfection qui me fait peur dans la danse.
La première fois où nous nous sommes retrouvés en studio tous les cinq pour véritablement travailler le corps, l’une des interprètes n’avait pas dansé depuis deux ans sur un plateau. Tout à coup, je me suis rendu compte que c’était elle qui avait le plus envie de danser, d’être dans le mouvement, d’être dans l’espace. C’est elle qui éprouvait le plus de désir, de nécessité, d’engouement et d’engagement physique. J’ai été très ému par ce moment là.

Quel type de matière dansée surgit de cette démarche ?

Effectivement nous nous sommes posés la question de la matière qui pourrait surgir d’un corps qui vieillit. A un moment donné, nous avons rencontré une question délicate : qu’est ce que serait une dernière danse ? L’une des danseuses n’arrivait pas à s’y projeter, par contre elle voulait imaginer à quoi ressemblerait son dernier salut. Nous sommes donc partis sur cette piste, qui a donné lieu à ce moment très fort de la pièce que nous avons appelé la danse des saluts. Faire son salut, cela dit plein de choses. La danse doit évoquer des dimensions très importantes de notre vie, qui nous transcendent parfois, à travers de petits gestes.
Un autre moment s’est construit à partir d’une projection de notre travail dans le futur. Comment danser à 90 ans. J’ai demandé à chacune des danseuses d’imaginer une danse du passé, une danse du présent et une danse du futur, et de l’écrire au présent. Celle que nous avons finalement gardée pour la pièce est étonnement énergique. Elle donne à voir un corps qu’on imagine 40 ans plus tard, non pas contraint et petit, mais au contraire plein d’énergie et de vie.

Numéro d’objet sera créé le 3, 4 et 5 mai 2011 au TNT à Bordeaux. Le public francilien aura l’occasion d’assister à ce spectacle le 27, 28, 29 mai dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis.

http://www.anticodes.fr/

(c) Frances Wessels performs in one of Jason Akira Somma’s portraits

Rencontre avec Frédérika, résolument une Super-Mamika
Eloge de la vieillesse de Hermann Hesse, n’oubliez pas de vivre juste avant de mourir
Smaranda Olcese

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration