Danse
Ô MONTAGNE (Sous les yeux de la jument nocturne) Loïc Touzé

Ô MONTAGNE (Sous les yeux de la jument nocturne) Loïc Touzé

20 March 2013 | PAR Smaranda Olcese

La nouvelle création de Loïc Touzé s’empare de la mythologie et puise sa force détonante dans les mystères de la Grèce antique. L’usage qu’il fait de la voix nous entraine dans les profondeurs, à la source bouillonnante des émotions primaires. Le rapport de frontalité qu’il instaure fait signe vers ce moment originaire de la performativité où théâtre, danse et chant participaient d’un même geste créateur.

Loïc Touzé a toujours travaillé la potentialité, l’imaginaire, cinématographique pour LOVE, personnel, en deçà de l’action uniformisante de tout apprentissage, pour La Chance. Pour cette nouvelle création, les mythes fondateurs de la civilisation occidentale constituent une matière brute, lourde de sens, mise en partage, offerte au devant du public, qui nourrit la corporéité des performeurs et la texture de leurs voix, qui stimule la faculté fictionnelle des spectateurs. Ô Montagne renoue avec des recherches plus anciennes. Le chorégraphe s’est déjà penché sur le travail de la figure et du corps – notamment dans une fine exploration de ce qui se situe en amont du geste – comme moteur de l’apparition des images. C’est maintenant la voix, à travers ses nuances, ses couleurs, ses timbres, qui produit du paysage. Foncièrement circonscrite au moment de sa manifestation, la voix déploie une terrible puissance d’actualisation des mythes, embrayeur d’imaginaire et véhicule de partage. Au premier abord brusque, déconcertante, tels ces cris dont les infimes modulations balaient dans un même souffle un spectre si large qui va de la jouissance aux lamentations, sa radicalité s’apparente au théâtre organique de Jerzy Grotowski. Qu’elle soit ou non articulée dans une parole, pour le coup éminemment performative, cette voix interpelle, agit de manière viscérale, remue. Son adresse engage à l’échange. En ouverture, dès le Prologue, Ondine Cloez nous convie à un acte d’attention simple mais essentiel, à une disponibilité aux choses qui deviennent de plus en plus abstraites, énormes, fines, insaisissables.

S’ensuivent des chants, tragiques, héroïques, fatidiques, théogoniques, fantastiques, orgiaques, autant d’épisodes d’une pièce construite comme un poème lyrique qui convie sur le plateau des héros mythologiques. Prenons Médée, dont l’image est désormais indissociable de la Calas de Pasolini et des fameux airs d’opéra. Loïc Touzé entame un processus de réduction, la plonge dans le magma complexe d’avant la parole. Il appelle de ses vœux au réveil des puissances archétypales. Une brutalité primaire marque également la partition de Gaia, la création du monde est un acte sanglant.  Une violence inouïe suinte des vers antiques et fait déborder littéralement le corps de la performeuse qui saisit à la racine la force d’évocation des mots. Les interprètes se situent dans un constant battement où le faire implique l’être. Après une séquence très savoureuse, une invisible tête de la Méduse tournée vers la salle plonge l’audience dans le silence : les spectateurs deviennent témoins — et plus encore partie prenante — de cet épisode mythique. Un peu plus tard, Dionysos les entretient en anglais de l’extase, il partage ses secrets avec eux. Les spectateurs sont maintenant prêts à entendre la révélation terrible de ce dieu né unedeuxième fois. Loïc Touzé trouve l’endroit indicible où la représentation pourrait basculer vers les mystères antiques. La parole devient active, elle se charge des pouvoirs du rituel. Au détour d’un chant la montagne se dresse, splendide Olympe – matérialisation des blocs d’imaginaire, présence incontestable, massive et pourtant poreuse. Jocelyn Cottencin, qui signe la scénographie, a l’intuition d’un unique décor qui se présente comme un agrégat de strates que les performeurs peuvent traverser, sans pour autant en sortir indemnes, inexorablement attirés, finalement atterrés par son emprise.

L’épilogue, léger, acidulé, empreint d’un humour ravageur, reprend et martèle les lignes de force de cette proposition. Cette invocation finale des muses revient aux origines de toute création. Le refrain rythmé et banal comme un tube continue de nous trotter dans la tête  à la fin de la pièce. C’est le grand art de Loïc Touzé : le plateau devient le point de rencontre, un monde mythique est réactivé, qui nous permet de devenir contemporains des héros. Tout un programme.

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Smaranda Olcese

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