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[Live-Report] Festival Extension Sauvage #4 : L’énergie de l’enfance aux jardins (26-28 juin 2015)

[Live-Report] Festival Extension Sauvage #4 : L’énergie de l’enfance aux jardins (26-28 juin 2015)

30 June 2015 | PAR Yaël Hirsch

Placée sous le haut patronage d’un soleil indéfectible à Combourg aussi bien qu’aux incroyables jardins du Château de La Ballue, cette quatrième édition du Festival extension sauvage a poussé du côté de l’enfance et de la musique les territoires magnifiques qu’il explore.

Pour lire notre interview de Latifa Laâbissi, c’est ici.

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Les trois premières années ayant été un immense succès, Latifa Laâbissi, Nadia Lauro et Marie-Françoise et Alain Mathiot-Mathon ont décidé, plus que jamais, de poursuivre l’aventure Extension Sauvage, qui est devenu le rendez-vous immanquable des amateurs de propositions fortes et dansées, à la fin du mois de juin. Après une troisième édition qui tendait la main et les jardins vers le cinéma expérimental, cette Extension sauvage 2015 a encore avancé de nouvelles cartes du côté de la musique et du côté de l’enfance.

C’est sur le duo danse/guitare électrique Percée Persée, à la fois punk et rigoureux et signé Rémy Héritier, accompagné par Eric Yvelin, que le festival à commencé au cœur de la ville de Chateaubriand, Combourg. Démarrant près du parking de l’aire du Linon, Rémy Héritier a repris et peaufiné quelques gestes précis pour hypnotiser un public rempli d’enfants. Nous l’avons tous suivi jusque sous les arbres qui bordent le lac, pour une performance d’une intensité folle. Après ce moment aigu, qui a immédiatement lié entre eux les festivaliers, le passage sur le pont vers l’espace vert et paisible de la rue des champs s’est opéré avec douceur et fluidité.

Devant le public réuni sous les rayons doux du soleil, c’est avec une énergie et un professionnalisme épatants qu’une quinzaine d’enfants du nord de l’Ille-et-Vilaine sont sortis de bosquets enchantés pour traverser avec nous pendant une trentaine de minutes le répertoire de Merce Cunningham. La pièce s’intitule Roman photo ; elle est à l’origine de Boris Charmatz, présent à la représentation, et a été adaptée pour les petits par Olga Dukhovnaya. Tandis que les pages d’un beau livre se tournent sur les plus grandes images des chorégraphies de Cunningham, les jeunes danseurs aux justaucorps de toutes les couleurs chantent, dansent, jubilent et annoncent les décennies sur une bande-son qui mêle baroque et rock (avec une acmé sur du Patti Smith !). Ils dégagent une liberté et une énergie folles. Alors que les enfants se réapproprient une page majeure de la danse contemporaine, le résultat est un moment artistique et pédagogique d’exception.

La soirée est marquée par un reps en commun et une arrivée nocturne au Château de La Ballue, où nous sommes accueillis par l’élégante châtelaine, Marie-Françoise Mathon, ancienne médecin nantaise qui s’est pris de passion pour le lieu qu’elle rénove et sculpte depuis dix ans. Elle est avant tout attentive à l’architecture des jardins immenses qui vont de la métaphysique italienne au sauvage du labyrinthe anglais, en passant par un théâtre de verdure impressionnant et des douves sauvages. La grande nouveauté de l’année est la piscine, toute en bois et en charme, qui permet de découvrir les arbres sous un autre angle. Madame Mathon revient pour nous sur sa rencontre avec Latifa Laâbissi et ce projet fou de faire un festival de danse en pleine campagne. Elle raconte aussi son rapport aux autres arts, qui avaient tous leur place au Château de La Ballue : la sculpture et la musique classique (il y a notamment des concerts baroques chaque année). Mais pour cette amoureuse de la nature et des arts, « les danseurs sont les seuls à s’approprier les jardins ». C’est d’ailleurs la manière dont Latifa Laâbissi lui a parlé des jardins du Château qui l’a convaincue d’entrer dans l’aventure. Une aventure prévue pour 3 ans d’essais concluants : « Quand le festival s’est terminé l’an dernier, je n’avais qu’un espoir, que Latifa me dise que l’on continue ! »…

Après une nuit paisible dans le petit paradis de La Ballue et une journée de soleil éclatants à se reposer dans les jardins, nous avions l’esprit totalement libre pour prendre place dans le Théâtre de Verdure et retrouver Rémy Héritier, cette fois-ci en duo avec Nuno Bizarro et toujours accompagné (en coulisses) par le guitariste Éric Yvelin. Alors que Boris Charmatz a dû annuler la pièce classique initialement prévue dans le programme du festival, À bras-le-corps (1993), ce qu’on a pu voir, Facing the sculpture, s’en inspirait. Les deux danseurs ont posé les limites de leur territoire avant de se lancer dans un duo très pensé, se transformant peu à peu en corps à corps de lutte hypnotique.

Pendant deux jours et plusieurs heures d’affilée, le génial François Chaignaud a reçu les spectacteurs inscrits un à un pour un tête à tête chanté d’un poème érotique du 17ème siècle Aussi bien que ton cœur, ouvre-moi les genoux. Voix magnifique, ongle laqués, yeux de biches et émotion à fleur de peau, le chanteur et danseur enrobait cette performance extrêmement sensuelle et tendre d’un cérémonial verdoyant et majestueux. Un des plus grands moments du festival était aussi le plus intimiste.

Ce samedi 27 juin le soleil s’est couché sur des voix d’enfants qui, par une chanson populaire, nous enjoignaient à suivre en procession Marie Richeux et Maylis Ricordeau pour une mise en espace en sous-bois du texte de Marie Richeux, Extension d’Achille. C’est cette vision douce et suave du héros de l’Illiade qui a accueilli la nuit.

Après une tisane partagée – avec nos impressions – c’est une belle nuit d’été calme que nous avons entamée à la Ballue.

Le dimanche, après un grand repas sous la tonnelle, le château s’est rempli d’un coup. Tout Rennes aimant la danse est venu pour suivre un programme très riche et très coloré.

Tout a commencé à 15h dans les salons du château, qui étaient « en installation » depuis deux jours et que nous avons enfin pu découvrir sous leur angle musical, avec une performance sonore de Manuel Cousin et Theo Kooijman, Le son des choses N°8 : 4 km/h à 2. Dada, fou et extrêmement précis, cet exercice de bruitage aux pieds dans les plats a réveillé l’assemblée et provoqué les tympans aussi bien que les neurones, des grands et aussi des enfants qui jubilaient. Une magnifique performance, tout à fait décalée.

A 16h, les jeunes danseurs surdoués d’Ile-et-Vilaine sont revenus pour une deuxième interprétation de Roman photo au cœur du majestueux Théâtre de Verdure. Ils ont encore une fois transmis une énergie folle avec une joie de vivre communicative, malgré l’intense chaleur de ce dimanche d’été vrai.

Et à 17h, la danse s’est terminée dans un tourbillon de couleurs, avec l’oxymoresque Blanc de Vania Vaneau, accompagnée dans son solo fauve de danse par la contrebasse de David Chiesa. Commençant comme un empilement d’étoffes colorées, sur le modèle du derviche tourneur, dans le cocon sculpté du bois de bouleau, la performance génère comme une mue, où la danseuse sort de ses peaux mortes pour nous livrer un sabbat carnavalesque aussi flamboyant que dérangeant. Un moment à la fois très sauvage et très joyeux qui a clôturé en beauté cette quatrième édition du festival…

Tous les convives ont quitté à regret les jardins de La Ballue, et attendent avec hâte la cinquième édition.

photos : Peter Domankiewicz

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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