Danse
<em>Le Rendez-Vous, Le Loup</em> et <em>Carmen</em> : un hommage sensuel à Roland Petit

Le Rendez-Vous, Le Loup et Carmen : un hommage sensuel à Roland Petit

17 March 2013 | PAR Géraldine Bretault

Disparu en juillet 2011, Roland Petit reçoit les honneurs d’un hommage à l’opéra Garnier. Plutôt que Le Jeune homme et la mort, Brigitte Lefèvre a souhaiter redonner le célèbre Carmen, conformément au souhait de Zizi Jeanmaire, la veuve du chorégraphe. Une soirée placée sous le sceau de la sensualité, servie par trois beaux couples d’étoiles.

Les photographies nocturnes de Brassaï, des femmes fatales, des forêts mystérieuses, un loup traqué, et la mort pour apothéose : l’imaginaire de Roland Petit semble s’inscrire dans le droit fil du romantisme noir célébré en ce moment au musée d’Orsay. De fait, à l’image de Diaghilev au début du XXe siècle, Roland Petit était curieux de tous les univers, et savait s’entourer de multiples talents pour donner corps à ses visions.

Le Rendez-Vous, première pièce montrée ce soir, bénéficie ainsi d’un argument de Prévert, d’un rideau de scène peint par Picasso et de décors de Brassaï. Pour interpréter La Plus Belle Fille du monde et le Jeune Homme, deux étoiles qui partiront à la retraite à la saison prochaine. Qu’à cela ne tienne, la fougue de Le Riche s’impose tout en légèreté face aux jambes magnifiques de Ciaravola, fuselées dans des collants noirs sous une jupe dégradée, mises en valeur dans le pas de deux lascif imaginé par Roland Petit. Le Paris canaille, où fleurissaient les cabarets annonce déjà le travail de Jérôme Robbins.

Changement de décor pour Le Loup. Dans cette transposition du conte de La Belle et la Bête confiée à Jean Anouilh, et une composition de Henri Durilleux, place aux décors et costumes bariolés de Carzou. L’ensemble est vif et coloré, même si Laetitia Pujol et Benjamin Pech manquent parfois de conviction. Malgré ses crocs et son torse poilu, l’inquiétante étrangeté du loup ne parvient pas à nous troubler.

Mais vient ensuite le joyau de la soirée, ce Carmen tant donné que Zizi Jeanmaire a souhaité revoir sur scène, bien installée dans les premiers rangs. Car Carmen, c’était d’abord elle et ses fameuses “gambettes”. Si l’on peut déplorer le sort que Roland Petit fit subir à la partition de Bizet, désarticulée et simplifiée, les étincelles bien réelles qui jaillissent entre Carmen et Don José nous font tout pardonner.

Pour les interpréter ce soir, un couple magnifique, le ténébreux Stéphane Bullion et Ludmila Pagliero, nommée étoile au printemps dernier. Bullion est aussi réjouissant de précision dans les premières scènes en bel hidalgo au panache assuré, que pris dans les rets de l’amour, pénétré d’une énergie sourde qui ne le quitte pas un instant. Quant à Ludmila Pagliero, est-ce son sang argentin ? Après nous avoir séduits dans le rôle de Kitri il y a quelques mois, elle nous propose une Carmen incandescente, impitoyable, dont le jeu de jambes qui use avec audace de l’en-dedans apporte un piquant supplémentaire au pas de deux qui narre la brève félicité conjugale qu’auront connue les deux amants.

Et bien sûr, on ne saurait parler du Carmen de Roland Petit sans évoquer les fameuses chaises du second tableau. Soulevées à bras le corps par les danseurs, elles valsent et pirouettent dans les airs, clin d’œil de plus à l’univers des revues dansées, qui trouvera une véritable postérité dans la danse contemporaine. Le ballet s’achève dans un dernier pas de deux, qui voit Carmen l’indomptable préférer la mort de la main de son amant au désaveu. Le duel du désamour et de l’amour à mort laisse la salle exsangue : Bullion et Pagliero recevront des applaudissements nourris. Il y a fort à parier que Zizi Jeanmaire est repartie tranquillisée quant à la pérennité de l’œuvre de son époux.

 

 

Les enfants qui s’aiment s’embrassent debout
Contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s’aiment
Ne sont là pour personne
Et c’est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris, leurs rires et leur envie
Les enfants qui s’aiment ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour

Jacques Prévert

Crédits photographiques © Julien Benhamou / Opéra national de Paris

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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