“Le Lac des cygnes” de Noureev : évanescence et blessures
Ballet emblématique de l’histoire de la danse classique, Le Lac des Cygnes a été maintes fois revisité, y compris par des contemporains comme Mats Ek. La version de Noureev interprétée ce soir porte au firmament sa densité intemporelle.
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Les balletomanes au féminin savent ce qu’elles doivent à Noureev : c’est lui qui fit tomber la culotte sous le pourpoint des danseurs, afin qu’on puisse mieux admirer leurs entrechats dans leurs collants moulants. Mais pas seulement, car Noureev avait une vision personnelle et profonde du répertoire. Attaché à l’équilibre entre les rôles masculins et féminins, il n’hésite pas à reprendre les tableaux de groupe dans ce sens. Ainsi, les fameuses danses de caractère de l’Acte III (czardas, danses espagnole et napolitaine, mazurka) trouvent avec lui, une véritable expression, dénuées d’un folklore trop empesé.
Les représentations se jouent à Bastille, et non à Garnier, et les dimensions différentes de la scène semblent avoir un léger impact sur la qualité des placements et des alignements – il est vrai que les les nombreux passages à l’unisson sont particulièrement exigeants dans ce ballet. Mais les étoiles brillent avec panache, aussi bien Alessio Carbone, méconnaissable en Rothbart surpuissant, que Mathias Heymann, dans un rôle qui lui permet de montrer son aisance retrouvée, et bien sûr Ludmila Pagliero, cygne fragile et éthéré…
Est-ce de sa seule initiative que Garrett Keast a choisi un tempo aussi enlevé ? Quoi qu’il en soit, les cygnes autour d’Odette n’en sont que plus fébriles, les semelles de leurs chaussons résonnant comme un crépitement sur le plancher. Ce rythme soutenu augmente bien sûr la difficulté pour les danseurs, mais quand il est maîtrisé, et rehaussé par une interprétation musicale très récitative de la part des solistes (la harpe et le premier violon), le résultat est juste brillant. Aucune mièvrerie dans ce Lac, donc, d’une évanescence incandescente, aérienne, bouleversante.
Mathias Heymann a coupé le souffle de l’auditoire par la puissance de ses sauts, alliée à la maîtrise de ses réceptions et à ses équilibres parfaitement tenus. Le pauvre cygne aura eu moins de chance : le rideau est tombé quelques longues secondes entre l’Acte III et l’Acte IV, le temps de remplacer en urgence Ludmila Pagliero sans doute blessée. C’est donc un autre jeune cygne, le sujet Héloïse Bourdon, qui a repris le rôle très honorablement pour venir mourir aux pieds du prince Siegfried.
Tous ont été vivement applaudis, y compris le chef d’orchestre, lors de longs rappels. Un beau Lac des Cygnes, qui tient toutes ses promesses.
Cisuels : © Ann Ray et Agathe Poupeney / Opéra national de Paris