Danse
Le festival Pharenheit fait la part belle au mélange des arts

Le festival Pharenheit fait la part belle au mélange des arts

04 February 2017 | PAR Camille Thermes

Ce n’est pas tout à fait fini. Ce jeudi dans le cadre du festival Pharenheit, Flora Détraz était au Théâtre des Bains-Douche pour Tutuguri, et la Compagnie Moussoux et Bonté donnait la première représentation de sa nouvelle création : A Taste of Poison. Deux spectacles qui laissent cours au mélange des arts et des techniques, tout comme l’expérience sensorielle proposée par Eric Arnal Burtschy, à laquelle Toutelaculture s’est aussi rendu.

Sous la houlette du Centre Chorégraphique National de Havre et en partenariat avec de nombreux lieux, la 5ème édition du Festival Pharenheit propose une un programme  de danse contemporaine très riche du 24 janvier au 4 février. Créations, collaborations à long terme, performances, installations, projections et ateliers; la programmation variée a pour fil conducteur l’inscription de la danse dans le paysage contemporain et la diffusion à des publics divers, habitués ou non à l’univers chorégraphique. Nous avons vu ces trois performances, très différentes mais placées uniformément sous le signe de l’hybridité, et de l’interrogation du rapport individuel et collectif au corps visible et invisible.

Tutuguri  de Flora Détraz : la voix des entrailles au Théâtre des Bains-Douche

Pour sa création Tutuguri, Flora Détaz s’est inspirée de la pièce radiophonique d’Antonin Artaud, “Pour en finir avec le jugement de Dieu” . De la lecture de l’écrivain, qui jouait à moduler sa voix de la façon la plus radicale possible, la jeune chorégraphe tire un solo qui tient surtout de la performance. La voix constitue le centre presque plastique de la chorégraphie, car elle n’y apparaît non pas comme un prolongement ou une émanation du corps, mais bien comme une partie de celui-ci. Avec lui et souvent aussi contre lui, la danseuse travaille donc cette matière sonore qui est partie prenante de la chair, dans une chorégraphie qui fait plutôt la part belle à la posture qu’aux enchaînements. La première partie du spectacle semble trouver une harmonie entre corps et expression vocale, grâce à une gestuelle associant espace, mouvement précis et voix. D’abord muette, c’est d’abord par un visage très expressif que Flora Détrza amène la thématique de la voix, dans des postures qui suggèrent le cri, ou la production de sons que l’on peut imaginer par l’effet qu’ils ont sur son corps. Sur une scène sombre et plutôt dénudée, mais structurée par un beau travail sur la lumière (Arthur Gueydan) elle semble alors lire l’espace par son chant.

tutuguri-c-pablo-lopez-32Mais si l’expression vocale relève d’abord de la maîtrise du corps et de son encrage dans l’espace, la performance de Flora Détraz glisse peu à peu vers ce qui apparaît comme une perte de contrôle pour questionner cette relation et interroger la façon dont la voix évolue en nous de façon presque autonome. Bourdonnements, vrombissements, gémissements, cris de nourrissons, aboiements… les sons qui s’échappent de la bouche fermée de la danseuse suggèrent peu à peu que le corps a priori un et uni est en fait empli d’une multitude d’êtres, enfouis quelque part dans nos entrailles. Dans cette performance presque ventriloque, chair et voix oscillent  entre cohabitation harmonieuse et complémentarité, affrontement et confrontation.
Plutôt que les mouvements de la danseuse, ce sont son visage et ses postures qui sont chargés d’expressivité ici. Et ce qui relève donc plus de la performance donne naissance à une succession sentiments assez déstabilisante, allant de la situation comique et auto-dérisoire à l’explosion de la peur, de l’angoisse ou de la gêne. La pièce interroge ainsi notre maîtrise du corps et désarçonne un public qui ne sait pas vraiment sur quel pied danser.On est peut-être cependant plus impressionnés par la performance que touchés par la chorégraphie. Mais l’on retient la force émotionnelle de cette galerie de masques grotesques et de ce pouvoir d’expressivité.

Cie Mossoux et Bonté : A taste of poison au Théâtre du Phare

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Ce jeudi, c’était la première pour cette nouvelle création de la fameuse compagnie Mossoux et Bonté, et ses premiers pas sont plutôt réussis. Là aussi la danse rencontre la performance sonore, mais c’est surtout une belle harmonie scénique et entre les danseurs que l’on retiendra de cette chorégraphie très satirique.
Car le spectacle est en effet ouvertement satirique, et plus en plus intensément au fil de la représentation.

Les corps et leurs interactions se font ici laboratoires. D’abord en blouse blanche de scientifiques, 5 danseurs évoluent dans une chorégraphie qui emprunte au théâtre et à la musique (la musique originale de Thomas Turine est un véritable moteur qui soutient parfaitement la chorégraphie), pour être successivement les cobayes ou les observateurs de tests comportementaux. Seuls ou à plusieurs selon l’aspect étudié, ceux qui se prêtent aux expériences quittent leurs blouses pour se soumettre tels qu’ils sont à des expérimentations qui traduisent un regard plutôt pessimiste sur les membres de nos sociétés contemporaines, marqués par une sorte de culte du passage à l’acte, de l’addiction ou de l’individualisme. Micros, table d’expérience, démarcations au sol : tout est fait pour mettre en place une série de protocoles scientifiques bien cadrés. Mais pulsions et désirs entraînent inlassablement la perte de contrôle de soi, et du corps qu’il faut alors discipliner à nouveau.
Il émerge de tout cela quelque chose qui parvient à nous atteindre, et même à nous heurter de front. Cela fonctionne en partie parce que l’on sent l’harmonie qui lie les danseurs. Peut-être parce qu’ils avaient pour la plupart déjà tous travaillé ensemble comme nous l’indique Patrick Bonté, ou parce que le projet s’est constitué sur une très longue période par bribes de trois ou quatre jours de travail, ils parviennent à nous faire ressentir une certaine familiarité qui semblait nécessaire pour une pièce qui travaille sur les relations humaines. Décryptant le sujet, ses réactions corporelles et émotionnelles lorsque il est provoqué de façon extrême, les scientifiques en blouse blanche ne peuvent conserver la froideur protocolaire et bien souvent les chorégraphies qui au départ de chaque tests séparent les solistes des observateurs, deviennent des ensembles qui impliquent tous les danseurs.
Il s’agit donc de décortiquer la façon dont notre corps réagit, ou plutôt de décortiquer nos comportements de manière générale lorsque nous poussons à l’extrême les automatismes auxquels nous encouragent nos sociétés.
Cela donne un spectacle plus engagé que ce que à quoi l’on aurait pu s’attendre, car une séparation très nette amène une deuxième partie beaucoup plus explicite que la première. Là où le début mettait à nu les pulsions individuelles,nous sommes comme tout à coup plongés brutalement dans l’actualité, face à la mise en scène de formes politiques menaçantes qui semblent découler de ces penchants d’abord individuels. Les allusions sont claires : Donald Trump, Marine Lepen, mais surtout les États-Unis sont presque tous explicitement désignés. Même si l’on comprend la logique du glissement allant de l’individuel au collectif, la deuxième partie est peut-être un peu plus explicative qu’on l’aurait souhaité, dans laquelle les danseurs agitent en cœur des drapeaux américains sur des sons de bottes militaires, et entament un gospel ironique dans lequel ils remercient (le ciel ? la société? les hommes?) pour toutes les aberrations et injustices que la chorégraphie veut dénoncer.

Mais dans cette pièce très satirique, l’ironie de l’interlude prend tout son sens puisqu’elle interroge justement la capacité de la danse à dénoncer ce monde; un des danseurs clame fièrement : “dance helps the world to breath”, tout ponctuant de toussotements les pas de danse classique stéréotypés qu’il se met à effectuer.

A noter :La compagnie donnera A taste of Poison dans le cadre de Biennale du Val de Marne au Théâtre du Châtillon le 24 mars prochain. Elle présentera également Vice Versa dans le cadre du même festival le 21 mars.

Deep are the woods : l’oeuvre immersive d’ Eric Arnal Burtschy au Tétris

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Eric Arnal Burtschy fait danser la lumière dans une oeuvre qui n’implique ni scène, ni danseur. Sauf si c’est nous qui nous mettons à danser avec les faisceaux lumineux qui créent l’espace dans lequel nous sommes plongés. D’abord dans le noir, le visiteur est invité à vivre une expérience sensorielle dans laquelle un nouvel espace devient peu à peu perceptible grâce au mouvement de la lumière.

visuels : ©pablo lopez, ©Cie Mossoux et Bonté,  ©Bara Srpkova

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