Danse
L’étoile Clairemarie Osta fait ses adieux dans <em>L’Histoire de Manon</em>

L’étoile Clairemarie Osta fait ses adieux dans L’Histoire de Manon

22 April 2012 | PAR Géraldine Bretault

Dans une chorégraphie du britannique Kenneth Macmillan, Clairemarie Osta brille une dernière fois dans un grand rôle du répertoire, aux côtés de son époux Nicolas le Riche, en grande forme. Nous étions à la première.

Dans le roman de l’Abbé Prévost, le destin tragique de Manon Lescaut nous est livré à travers un double filtre : le point de vue du narrateur est celui de son amant Des Grieux, que Manon entraîne vers sa perte ; ensuite,la distance est aussi temporelle, puisqu’il évoque ses souvenirs, déformés et magnifiés par la passion, dans un temps rétrospectif. C’est pourtant de cette version que le chorégraphe s’est senti le plus proche, au point de la préférer au livret du célèbre opéra de Massenet. Du compositeur, il retient plutôt sa théâtralité et sa fraîcheur, dont les extraits rassemblés pour la partition font merveille sous la baguette de Koen Kessels.

Dans cette production qui date de 1990, Nicholas Georgiadis a déplacé l’histoire de Manon sous l’Ancien Régime, ce qui permet une évocation très précise du Paris contrasté de cette époque : des demi-mondaines aux financiers, des mendiants aux voleurs à la tire, les tableaux de groupes fourmillent d’une inventivité bruissante qui anime les côtés de la scène. L’ampleur des décors contribue à restituer cette fresque ancrée dans la trivialité du quotidien. Le ténébreux Stéphane Bullion semble trouver le plus grand plaisir à camper Lescaut, le frère de Manon, dans un rôle souvent comique – son pas de deux éméché avec sa maîtresse Cléopâtre est un sommet du genre. Cette dernière était incarnée par la première danseuse Alice Renavand, dont chacune des apparitions mutines a illuminé la scène de son assurance féline.

Quant au couple vedette, Manon est un peu leur Roméo et Juliette, dans ce ballet qui fait la part belle à la passion, à travers de nombreux pas de deux enlevés insérés au milieu de scènes de foule très animées. Pour Nicolas Le Riche, c’est l’occasion de déployer à la fois tout son registre d’expression, avec l’élégance qu’on lui connaît – depuis le jeune étudiant séduit au premier regard à l’amant éconduit puis à l’époux éploré – et une vigueur physique qui continue d’impressionner dans les multiples portés originaux imaginés par MacMillan. Face à lui, la danse aérienne et diaphane de la menue Clairemarie Osta fait merveille. Aussi crédible en ingénue qui découvre le monde qu’en prostituée déchue débarquée en Louisiane, les cheveux ratiboisés, pour écoper sa peine, elle incarne toute l’ambiguïté de Manon, cette héroïne déjà romantique qui emporte tout avec elle en se brûlant les ailes.

Le troisième tableau, d’une facture moins classique, se ressaisit dans une moindre mesure du décalage présent dans le roman, évoqué plus haut : nous sommes ici loin de Paris, en Louisiane, où les prostituées étaient forcées à l’exil dans une société qui luttait contre sa décadence pressentie, dans une nature et sous un climat hostiles. Vaincue, Manon ne parviendra plus à reprendre la main sur son destin. Perdue dans le bayou, épuisée, elle s’abandonne à ses souvenirs dans les bras impuissants de Des Grieux. Derrière le couple, au fond de la scène et à travers les lianes de la mangrove, les danseurs reviennent danser des extraits des premiers actes. Et nous de nous demander si Clairemarie revoit défiler à cet instant les plus beaux moments de sa carrière comme dans un songe…

Son dernier salut au bras de son partenaire, à l’avant du rideau rouge, a serré les cœurs.

 

« Elle pèche sans malice. Elle est légère et imprudente, mais elle est droite et sincère. » Abbé Prévost

 

Visuel © opéra de Paris

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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