Danse
[Interview]  Marco Da Silva Ferreira “Je veux travailler à partir de quelque chose que je ne vois pas habituellement”

[Interview] Marco Da Silva Ferreira “Je veux travailler à partir de quelque chose que je ne vois pas habituellement”

11 May 2017 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Nous avons rencontré le danseur et chorégraphe  Marco Da Silva Ferreira lors de la création de Brother  au São Luiz Teatro Municipal, à Lisbonne. Son très speed Brother arrive à Paris, au Théâtre de la Ville ( Les Abbesses) le 13 mai à 20H30 

Vous avez déjà présenté votre travail en France : aux  Subsistances et aux Ateliers de Paris, dans des lieux dédiés à la danse contemporaine, à la performance… Est-ce que ça correspond à votre style ? C’est ce que vous cherchez à faire, de l’avant-garde ou de l’underground ?

Oui, c’est ce que je veux

Vous assumez !

Je veux travailler à partir de quelque chose que je ne vois pas habituellement, ça a été le cas au moins pour ces deux créations et je veux développer des sortes de distorsions à l’intérieur des langages qui sont connus : je crée des frictions ou je change un petit peu et ainsi je peux aller vers une forme de prise de risque ou un nouveau matériau, quelque chose de nouveau pour ce que je cherche à dire.

Chaque mouvement que vous faites, chaque seconde, c’est comme si on se disait « O.K., j’ai envie d’avoir une photographie de ça. Wahou ! ». C’est vraiment un plaisir : vous avez votre propre style, et j’aimerais savoir comment vous travaillez, comment vous faites avec ce matériau… « corps »…

Je travaille beaucoup à partir de quelque chose que je ressens dans mon corps, tout d’abord, il y a un sentiment, quelque chose comme une intuition dans mon corps que je découvre moi-même et ensuite je projette ça aux danseurs.. C’est pourquoi je leur fournis beaucoup de phrases, de matériau ; ainsi ils peuvent atteindre le même point. Au début du processus de création, pas dans la pièce mais dans la création, il y a beaucoup d’improvisation. Mais je suis très précis dans les moments d’improvisation sur lesquels je travaille. Ainsi ils commencent par se mettre en connexion avec une forme de « physicalité » et ensuite, après avoir atteint une forme de compréhension de la « physicalité », du mouvement et du langage, je commence à les faire aller vers quelque chose d’un peu codifié, je commence à aller plus en profondeur dans la composition, dans le rythme, s’il s’amplifie, ou s’il est de plus en plus doux, s’il y a des moments plus intenses, si la dynamique devient de plus en plus riche, mais au début, il y a beaucoup d’improvisation.

Brother, c’est aussi quelque chose qui a trait avec la famille, vous avez besoin de quelque chose de très connecté, et ça l’est : la musique, le son, la danse, tout est connecté. J’aimerais bien vous interroger sur le premier moment…

 Le solo.

Vous savez vraiment comment démarrer un spectacle, vraiment ! Et, merci ! Le danseur adopte un peu un style de singe : que lui avez-vous demandé? Quelles étaient les directives ?

Oui, on a beaucoup fait d’improvisation… C’était super touchant ce solo. On a fait beaucoup d’improvisation, une personne venait au centre du plateau ou du studio, et… et c’était moi et j’ai dit : « Je vais danser et j’aimerais que vous vous concentriez sur ce que je suis en train de faire et ensuite vous passerez et vous essaierez de ne pas faire le même mouvement mais d’être dans la même énergie, ou qualité, ou d’être dans la même structure que vous donnerez à votre corps. 

Mais alors ce n’était pas une question ‘‘intellectuelle’’ ?

En fait, ça l’était. J’ai mis un morceau de piano classique, comme pour donner une vibration d’émotion et ensuite, oui, j’ai exécuté le premier solo en pensant que je faisais un travail sur le mouvement dans l’idée de quelque chose d’ « africain ». Mais parce qu’il y avait cette charge émotionnelle, quand vous observiez cela vous apportait un autre sentiment.  Ils sont venus sur le plateau, ils m’ont donné même plus mais dans la même veine, ils avaient compris vers où je voulais aller et ils m’ont suivi. Et ensuite, si je fais, ils font aussi , si je le fais à nouveau, un autre le fera aussi et à un certain moment, je me suis mis à filmer et pour ce solo je ne pensais plus à cette danse africaine mais mon corps bougeait de lui-même, avec cette charge émotionnelle et c’est pour ça que j’ai fait cette improvisation, et parce que je sentais que ce devrait être vital pour commencer la pièce et pour que ce soit parfait, je lui ai passé ça et nous sommes passés par ce même processus encore et encore et nous avons fini par arriver à ce moment, à cet endroit.

Plus tard, nous avons cette scène étrange où il y a comme des zombies. C’était un rêve ou bien un cauchemar ?

Il y a plusieurs choses vers lesquelles on va, dans chaque pas que nous faisons je veux dire, dans un mouvement synchronisé, il y a une forme de contamination. Et il y a un mouvement vers l’avant mais sans savoir où nous arrêter et il y a comme une forme de stupidité qui grandit naturellement parce que ce sont presque comme des enfants jouant, et autorisés à faire des choses étranges avec leur corps et qui continuent, qui continuent, qui continuent, et qui croient dans le fait d’être un groupe et que « oui, on va quelque part » et il y a cette excitation d’aller vers un endroit qu’on ne connaît pas, c’était ça. Et dans cette dernière partie, j’ai presque voulu obtenir un sentiment du monumental, de quelque chose qui serait vivant mais qui serait la réminiscence d’un monument, avec beaucoup de choses qui pourraient être de l’ordre du symbolique, et rempli d’informations et de culture, et c’est cette idée qui est sous-jacente quand le noir se fait et nous avons seulement le bruit d’une danse. Nous, en tant que spectateurs, nous pouvons garder une image de ce que ces corps font même si  nous ne les avons pas devant soi car nous avons la mémoire de la dernière heure du spectacle qui me permet d’aller chercher dans ma mémoire, de remplir ce son parce que je voulais parler de communication, d’héritage, de ce que les pères transmettent à leurs filles, à leurs fils et ça continue parce que je voulais parler des danses ancestrales, je voulais parler de ce qui se transmet de génération en génération, en génération et parfois, c’est présent dans la mémoire et ça s’efface, et c’est perdu et donc dans cette obscurité,  c’est par cette mémoire que je dois passer si je veux voir maintenant.

La musique est vraiment importante. Vous utilisez de la musique techno, mais vous n’avez pas choisi d’avoir un DJ en live, pourquoi ?

À un certain moment, il était en live sur la scène mais parce que la pièce comprend sept danseurs, nous avions besoin de beaucoup d’espace. Ce que j’ai pensé c’est que si je mettais le musicien sur scène, il couperait la structure que j’étais en train de créer avec ce groupe et c’est dommage et j’ai pensé que je devrais faire en sorte que les spectateurs sentent la présence de la personne qui fait la musique par ces « baisses d’énergie » qui sont créées. Alors que je suis en train de danser, je peux m’arrêter et ne rien faire et ils continuent à danser ou aller vers un autre endroit où la musique fait la même chose. La musique s’arrête, la musique change, elle est là mais pas visuellement.

Ma dernière question peut-être, vous allez présenter le spectacle le 13 mai à Paris au sein du festival appelé « Chantiers d’Europe », qu’est-ce que vous pensez d’une danse européenne ? Est-ce que vous pensez que faites partie de cela ?

Ah ! Oui, totalement. Ce travail, à un certain point, je sens qu’à un certain moment, il prend des aspects politiques, parce que nous parlons de diversité, d’origines africaines au niveau de la culture mais nous sommes des Européens contemporains et je recolle cette information avec le genre de vie que j’ai aujourd’hui et souvent je pensais que parler de quelque chose qui venait d’un autre continent, comme l’Afrique dont nous avons beaucoup parlé, des réfugiés, des guerres etcaetera et qu’en même temps parler de l’idée d’une famille -«brother »-, ça pouvait presque passer pour quelque chose de moralisateur ou de politique et j’accepte que ça puisse être politique parce que je parle d’un groupe qui prend des décisions pour le groupe. Dans ce sens, je peux l’accepter. Le spectacle est fortement connecté à l’idée d’où nous venons et d’où nous allons. Donc, oui, c’est beaucoup sur l’Europe.

Visuel : DR

Propos recueillis par Amélie Blaustein Niddam, retranscrits par Bénédicte Gattere

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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