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[Interview] Jan Goossens  : “La programmation du Festival de Marseille 2016 est entièrement la mienne”

[Interview] Jan Goossens : “La programmation du Festival de Marseille 2016 est entièrement la mienne”

11 May 2016 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Cette année le festival de Marseille lancera sa XXIe édition, la première sous la direction de Jan Goossens. L’occasion pour nous de rencontrer le plus marseillais des belges.

Qui a  construit le festival qui s’ouvrira en juillet  ? Est-ce vous avec Apolline Quintrand, est-ce vous tout seul, est-ce elle toute seule ?

Jan Goossens : Non c’est moi. C’est une année de transition parce que je termine à Bruxelles au KVS mi-juin. J’ai fait toute la programmation de Bruxelles pour cette saison-ci, ce qui voulait dire que je ne pouvais pas être à Marseille en permanence. Apolline Quintrand est restée en poste en tant que directrice générale et elle le restera jusqu’à fin juillet. J’ai en charge la direction artistique pour cette transition, je reprends la direction générale à partir de la saison prochaine et la programmation de ce festival 2016 est entièrement la mienne.

Alors comment vous avez équilibré, je vois qu’il y a des reprises, comme le Gala de Jérôme Bel, il y a des créations, comment vous avez choisi cette programmation ? Quel est le fil conducteur ?

C’est une version marseillaise de Gala, donc ce n’est pas le Gala Parisien du Théâtre de la Ville que l’on reprend à Marseille, là on est en train de créer l’équipe marseillaise et le projet sera recréé à Marseille avec des Marseillais pour les Marseillais. En gros, le cadre général que j’ai envie de développer dans les années qui suivent est un cadre où je suis conscient d’avoir hérité d’un bel outil, et en même temps où il faut développer ce festival. Donc ça restera un festival de danse dans un contexte beaucoup multidisciplinaire. Ce qui m’intéresse ce sont les artistes pertinents et forts, et puis peu importe dans quelle discipline ils s’expriment. En même temps la danse m’est très chère, j’en ai beaucoup programmé à Bruxelles qui est quand même une grande capitale de Danse et je trouve aussi que dans une ville comme Marseille, multiculturelle, multilingue, de communiquer avec cette ville attire du corps et du mouvement et c’est très fort, et c’est un atout, mais le contexte sera quand même beaucoup plus multidisciplinaire. Au niveau international j’ai envie d’ouvrir beaucoup plus vers le mouvement occidental, ça se voit clairement dans cette programmation et en même temps il faut très bien ancrer le festival dans sa ville et pour moi ça veut dire travailler pour mais aussi avec la ville. La version marseillaise de Gala est une première étape d’un trajet qui montrera que la ville sera à l’honneur dans chaque édition. Donc voilà, et en même temps à l’intérieur de ce contexte-là j’ai envie d’une prise de risque artistique beaucoup plus grande et le festival jouera un rôle dans des projets de création qui se feront en partie à Marseille et il y aura des coproductions, sans que l’on transforme le festival en un festival de création. Je trouve aussi qu’à Marseille il y a un vrai intérêt à avoir une bonne programmation. Nombre d’artistes de cette édition viennent avec des premières françaises, mais qui viennent à Marseille pour la première fois,  Brett Bailey ou Platel ont été à Marseille mais très rarement. Accueillir des artistes pour la première fois à Marseille, c’est quand même un grand pas tout en sachant que plusieurs d’entre eux seront de retour dans les années qui suivent avec des projets de création et de co-production du festival.

Vous avec un public d’habitués qui va venir mais le problème c’est d’arriver à faire venir ceux qui ne viennent pas dans cette ville aux problèmes de transport  délirants. Quel est le travail que vous faites avec la mairie pour faire connaître encore plus le festival dans la ville ? 

 J’adore les villes compliquées, et j’ai l’habitude parce que tout le monde me dit que Marseille est compliquée ! Après 15 ans à Bruxelles, je n’ai pas trop cette impression là pour l’instant. Il y a un lien direct, intense, étroit avec la mairie de Marseille, pour moi c’est beaucoup plus simple que la situation au KVS où il faillait en permanence négocier entre trois quatre tutelles. En ayant travaillé dans plusieurs villes Africaines aussi par exemple comme Kinshasa où les problèmes de transport, de mobilisation, de spectateur sont beaucoup plus grands qu’à Marseille, ça ne me fait pas peur. Aller vers le public est aujourd’hui une chose essentielle et compliquée. Je crois que à Marseille, une partie de la réponse se trouve vraiment au niveau de la programmation. Jusqu’ici elle était d’une très grande qualité mais quand même un peu plus homogène, plus dense que la mienne, plus classique que la mienne et là j’ai vraiment conçu cette première édition comme un voyage, comme tout d’abord un voyage à l’intérieur de la danse, donc je crois que à l’intérieur de cette programmation il y a énormément de bonnes raisons pour des publics très divers pour s’identifier avec ce festival et à partir d’une telle programmation il y a bien sûr un énorme travail de médiation à faire, par l’équipe de communication, par les équipes de RP. Je m’engage là-dedans avec beaucoup d’énergie et beaucoup enthousiasme tout en sachant que la construction de nouveaux publics, ça prends du temps. A Bruxelles j’ai triplé le public, j’ai surtout rajeuni et diversifié le public mais ça m’a pris cinq ans donc il faut d’un côté de très bonnes stratégies et comme je disais je pense que le point de départ c’est la programmation. Par exemple, Flexn est non seulement un spectacle de danse, mais un spectacle de danse qui parle des grands enjeux du vivre ensemble dans une ville globalisée et diversifiée comme New-York, car il y a plein d’affinités entre ce spectacle et ses contenus et les grands enjeux du vivre ensemble à Marseille. Entre Flexn, ou Coup Fatal avec un orchestre sur scène, Gala avec les marseillais eux même sur scène.

Vous programmez Monument 0.1 d’Eszter Salamon, c’est un sublime spectacle qui demande d’avoir un regard, Vous souhaitez monter de niveau mais c’est un enjeu incroyable!

C’est ça qui m’intéresse et c’est exactement pour ça que j’ai décidé d’arrêter au KVS. J’’avais fait le tour, et tout ce que je voulais changer et développer je l’avais changé donc oui c’est un vrai défi mais encore une fois il y a un bel outil, il y a par exemple une très bonne équipe de communication et de RP qui sont très enthousiastes par rapport à la programmation et en même temps j’ai quand même la confiance que toucher de nouveaux publics et diversifier les publics cela ne veut pas dire aller vers la facilité. Je trouve que Monument 0.1 est un spectacle de qualité, un spectacle exigeant mais en même temps ouvert et généreux pour ceux qui aiment la danse.

Oui, pour ceux qui aiment la danse car il y a des privates jokes dans ce spectacle qu’il faut arriver à comprendre. Il faut savoir qui est Martha Graham par exemple. ..

Ce festival a quand même un lien historique avec la danse américaine et en plus je veux présenter le spectacle en partenariat avec Marseille Objectif Danse qui est quand même la structure dans cette région qui a un lien fort avec la danse, à la fois américaine, post-moderne et africaine. Dans ce sens et avec ce spectacle on s’inscrit dans une ligne marseillaise qui nous garantit je crois un public intéressant. Puis, Monument O.1  jouera à la Minoterie, ce n’est pas non plus un spectacle avec lequel il faut mobiliser 600-700-800 spectateurs tout les soirs.

D’ailleurs ma question était, quels sont les lieux que vous allez occuper à Marseille ? Allez-vous occuper de nouveaux lieux, vous aller utiliser la rue aussi ?

On sera à l’extérieur pour les concerts et pour des interventions en ville autour de la programmation. En même temps pour cette première édition que j’ai du construire en grande vitesse, j’ai choisi de vraiment donner la priorité à une programmation forte qui me permettait d’intensifier les liens avec les grandes structures marseillaises dont j’aurais besoin comme partenaire solide et engagé dans l’avenir donc je suis très content.

Quels sont les lieux pour le festival ? Les lieux essentiels ?

On sera beaucoup à la Criée qui est a un beau plateau, une équipe technique, une direction forte et solide et dont j’ai besoin pour des spectacles comme Flexn et des Coup Fatal. Je ne peux pas vraiment les montrer ailleurs et en sachant que avec Platel et Fabrizio Cassol je suis très impliqué dans la construction de la suite de Coup Fatal dont le festival de Marseille sera co-producteur. La première française se fera à la Criée, donc déjà de faire un premier pas c’est très bien. On co-produit avec le Mucem autour d’une création à Marseille, on est en co-réalisation avec le Merlan pour Lisbeth Gruwez.

Parlez moi d’elle. Il me semble que vous êtes un grand fan, vous la soutenez depuis longtemps.

Oui, on a fait un beau trajet à Bruxelles en même temps c’est quelqu’un qui a vraiment tracé son chemin à elle. Je  ne suis pas celui qui à découvert Lisbeth Gruwez mais on se croise depuis 20 ans car elle a fait un grand trajet comme danseuse dans les grandes compagnies ( Fabre..), et puis j’ai vu ce premier solo “It’s going to get worse…”, très très tôt.

Elle sera à Avignon quelques jours avant 

Avec une création et elle sera de retour à Marseille la saison, l’année prochaine, avec sa deuxième pièce de groupe, à côté de ses deux solos, elle a déjà une première pièce de groupe qui s’appelle Ara, qui est très forte mais elle créée une nouvelle pièce de groupe pour 2017.

Donc vous en êtes déjà à penser à la programmation suivante, là vous avez repris une temporalité normale pour un programmateur et un directeur.

Je suis à fond sur le (20)17 et le (20)18. Et là cette première programmation…

Comment vous avez fait pour réunir une telle programmation  en si peu de temps ?

J’ai mon passé, j’ai mes réseaux et mes liens un peu privilégiés, mais j’ai quand même voulu construire une première édition qui s’appuyait pas seulement la dessus, j’ai trouvé qu’il était important de montrer quelques pièces signature et artistes signature de mon passé, ils font parties des raisons pour ma nomination, mais ils n’avaient jamais été montré à Marseille.

Non mais montré très près, est-ce que vous travaillez sur le festival d’Avignon ?

J’ai un très bon lien avec l’équipe d’Avignon. Je crois qu’il y a un enjeu dans cette région de mieux positionner et éventuellement de collaborer, là pour cette première édition je le fais avec Bernard Foccroulle avec le Festival d’Aix ce qui donne un sens aussi en tenant compte de la nouvelle métropole Marseillaise qui est en train de se construire. On co-présente une création mondiale du Festival d’Aix et Le Festival d’Aix co-présente avec nous le Macbeth de Brett Bailey. Avec Avignon et Montpellier on explore des pistes et rien n’est exclu, rien n’est définitif aujourd’hui. Avec Montpellier il y a certainement un intérêt commun.

 A commencer par la circulation des publics, c’est pas loin, on peut imaginer faire une heure de trajet pour voir un spectacle à Marseille le soir, les gens le font et il y a un manque d’information. 

Ça va déjà se faire beaucoup plus je crois et je pourrais m’imaginer qu’autour de certaines régions et d’artistes par exemple africains qui viennent à Aix ou à Marseille ou à Avignon, on les montre dans les deux villes et les deux festivals. Surtout que il faut un budget, il faut faire de la prospection, c’est un travail énorme de repérer les bons projets les bons artistes et d’ensuite les inviter pour quelques dates à Avignon, puis quelques dates à Marseille et puis c’est terminé. C’est un peu dommage, mais voilà on prend le temps de se voir, de discuter là-dessus et trouver des bonnes formules pour l’avenir, tout en se disant que les situations de ces dernières années où l’on ne se parlait pas, où il n’y avait pas de lien d’échange ne devraient pas continuer.

Est-ce que vous irez plus loin, avec des concerts, des expositions, des conférences… Autour du festival, qu’est ce qu’il va se passer ? Des rencontres artistes/publics ?

Déjà je fais un premier grand pas avec des rencontres post-spectacle pour chaque spectacle donc en général je me suis dis qu’il y avait trop peu ou pas assez de rencontres et d’échanges entre artistes et publics. Donc avec ce constat en tête, il faut des rencontres formelles pour chaque projet entre les artistes et le publics, et cela sera le cas pour chaque projet après le spectacle sur le plateau, mais c’est aussi avec constat en tête que j’ai vraiment insisté sur le fait qu’il faillait un QG, un centre pour le festival qu’on installera à la Minoterie et sans rencontre, sans échange, sans conversation commune entre artistes, publics et professionnels, il n’y a pas de festival. Sans QG, sans centre du festival, il est très difficile d’installer tout cela donc on le fait de manière formelle avec une rencontre post-spectacle, on le fait de manière informelle ce QG à la Minoterie où il y aura à boire et à manger et à faire la fête et dans les années qui suivent il est clair que j’aimerais bien développer les rencontres, mais aussi les réflexions autour des pratiques artistiques qui font partie de la programmation et aussi autour des enjeux plus urbains, plus citoyens auxquels on touche. Aujourd’hui il y a déjà une conférence de Peter Sellars pendant le week-end d’ouverture, mais en principe déjà autour de cette programmation on aurait pu aller plus loin dans tout ça mais je crois qu’il faut aussi aller en état.

Festival de Marseille, du 24 juin au 19 juillet.

Visuel : Stephan Vanfleteren

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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