Danse
[Interview] Boris Charmatz : « les corps sont perméables »

[Interview] Boris Charmatz : « les corps sont perméables »

07 May 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le weekend dernier, Rennes a vécu au rythme de la danse à l’occasion de deux jours dédiés. Fous de danse est un geste artistique dédié à la danse. Le directeur du Musée de la Danse, le danseur et chorégraphe Boris Charmatz revient sur cet événement.

Que s’est-il passé à Rennes lors du pont du 1er mai ?

Aaaaaah. Le Musée de la danse a basculé dans l’espace public. Nous avons organisé une grande journée de midi à minuit sur la plus grande place de Rennes. Au lieu de penser à un nouveau festival, nous avons essayé de former une seule et infinie danse constituée par des corps, des styles, des formats, des cultures, des esthétiques très contrastées, qui trouvent là à s’unir mais aussi à se confronter. On est passé de l’échauffement pour tous à un soul train géant, d’une exposition de duos professionnels à des enfants qui incarnent une idée de William Forsythe, d’une flash mob chorégraphique à un dance floor à un spectacle d’Alessandro Sciarroni… les montagnes russes. Mais le principe général est simple : pas de scène, pas de gradin, juste un gros système son. C’est-à-dire que du passant au spectateur, de l’amateur au professionnel, des danses urbaines à la danse contemporaine, il n’y a aucun palier : les corps sont perméables. Et je crois qu’il y a un énorme désir et besoin de réinvestir l’espace public, pour digérer les nombreuses peurs contemporaines et voir ce que nous avons, tous, à faire ensemble.

La visibilité de la danse n’a jamais été aussi forte, en témoignent l’activité des CCN. Quelles sont les avancées que vous avez opéré avec le musée de la danse ?

La danse est aujourd’hui un peu plus présente dans l’espace public qu’auparavant, et pourtant… il suffit de comparer n’importe quel centre dramatique national équipé d’un théâtre avec les outils dont disposent les centre chorégraphiques: souvent des studios, rarement en centre-ville… et un accès encore trop limité aux grandes scènes des réseaux de diffusion… Pourtant, oui, vous avez raison, la danse est partout : sur youtube, dans les salles de sport, dans les centres d’art, et dans un certain nombre de musées d’arts contemporains. Jusque dans l’espace publicitaire. Cet élan est extraordinaire, c’est un élan sociétal général, qui correspond aussi à une société métissée, dans laquelle de plus en plus de gens parlent localement des langues internationales. La danse représente dans ce flux une opportunité d’organiser une passerelle entre des corps qui habituellement ne se touchent pas, ne serait-ce que du regard. Et dans le même temps, l’art chorégraphique doit pouvoir organiser du dissensus, des questions, poser des problèmes : la danse sème aussi le trouble, et c’est tant mieux.

Le musée de la danse participe à ce moment en essayant d’inventer un nouveau type d’espace public par et pour la danse. L’avancée, si elle existe ( !), consiste à s’emparer de la question institutionnelle avec un point de vue délibérément expérimental. Nous essayons de passer de la critique des institutions à la construction institutionnelle… et ce faisant des gens extraordinaires ont eu envie de participer à cette aventure, des artistes, des archivistes, des penseurs, mais aussi et peut-être surtout des visiteurs. On vient visiter des expositions de danse, mais c’est la danse qui nous visite.

Pensez-vous que la danse actuelle se place dans la filiation nécessaire, voir dans une obligation d’archivage ? ( je pense aux rétrospectives, au dernier spectacle de Thomas Lebrun, au Sacre du Printemps rejoué ..)

Il faut absolument lier mémoire et improvisation, histoire et recherche, archéologie et invention de formes. La danse est un art qui peut articuler très spécifiquement ces domaines censés être séparés ! Et c’est un domaine électrique qui peut entraîner à la fois des universitaires et le fameux grand public, les artistes et les citoyens. L’Europe possède un socle culturel incroyable, qu’il ne faut pas opposer à la nécessité de l’invention et de la réinvention : il ne faut surtout pas choisir entre « intérêt porté à l’histoire » et « urgence à créer les gestes du présent ». Ensuite, comme dans tout mouvement de fond, ce regain d’intérêt pour des danses disparues ou oubliées peut mener à des aventures extraordinaires comme à des spectacles compassés. Mais ce n’est pas le problème ! Je crois au contraire que l’intérêt porté à la culture générale et chorégraphique en particulier a permis pendant les vingt dernières années de voir éclore des artistes et des projets inoubliables.

Visuel : (c) DR

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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