Danse
“Deux mille dix sept” : Maguy Marin nous livre son best of de l’année

“Deux mille dix sept” : Maguy Marin nous livre son best of de l’année

07 December 2017 | PAR Simon Gerard

On se plait à dire d’une pièce de théâtre, d’un spectacle de danse ou d’une performance artistique qu’il ou elle est “profondément politique” sous prétexte qu’il ou elle effleurerait l’épiderme épais de notre réalité, ou énoncerait une quelconque “vérité qui blesse”, à un moment de sa représentation. Le qualificatif “politique”, pas toujours justifié, est susceptible d’apporter à toute création artistique un supplément d’âme, une sorte de légitimité facile. Soyons donc clairs : Deux mille dix sept, création de Maguy Marin présentée à la Maison des Arts de Créteil dans le cadre du Festival d’Automne, est véritablement politique. La chorégraphe livre un panorama très dur des thèmes, des événements et surtout de individus qui ont fait pencher l’année 2017 du côté de l’âge de fer. 

Sons et lumières, et gestus

Maguy Marin est une chorégraphe réaliste. Pour elle, la société – et le mouvement des femmes et des hommes en son sein – émet d’elle-même les motifs essentiels de la danse contemporaine. Deux mille dix sept semble ainsi être le fruit d’un travail minutieux d’analyse de gestes quotidiens et d’attitudes sociales. En cela, Maguy Marin peut très bien se réclamer de Brecht : les danses qui s’enchaînent tableau après tableau ne sont que des variations orientées et étudiées du réel. De la marche déhanchée de l’ouvrier au doigt autoritaire du supérieur hiérarchique en passant par la parade nuptiale des nantis en virée shopping, aucune parole n’est nécessaire : seules suffisent les attitudes corporelles, les démarches et les poses, parfois agrémentées de grommelots indéchiffrables – mais dont le ton déborde de signification.

Que Maguy Marin offre au public une ” danse de la réalité ” n’implique pas pour autant que la scène soit exempte de poésie et de mystère. Le plateau de Deux mille dix sept n’est pas un laboratoire, comme en témoigne la gestion si spéciale de l’éclairage : les projecteurs diffusent une lumière très faible qui balaie lentement la scène, de sorte que le spectateur n’est pas certain de bien voir ce que l’on lui révèle – et redouble ainsi d’attention. De la chorégraphie réaliste de Maguy Marin, on ne distingue parfois que des bribes suggestives. Mais n’est-ce pas ainsi que le réel est fait ?

Impossible de ne pas évoquer, enfin, la musique de Deux mille dix sept que le jeune virtuose Charlie Aubry gère en direct : les nappes d’ambiance côtoient les beats sourds et les bruits du monde sur un rythme toujours plus frénétique, entrecoupé parfois de quelques silences salvateurs. 2017 fut une année éprouvante. Deux mille dix sept l’est donc, logiquement, tout autant.

Ad nominem

Dans Deux mille dix sept, la chorégraphie réaliste côtoie une scénographie extrêmement symbolique – et, il faut le dire, assez manichéenne. Au fil de la première heure de spectacle, le plateau se hérisse de stèles gravées de noms d’inconnus et de pays divers. Ce dispositif évoque la masse, la plèbe, les 99% autour desquels gravitent – en chair et en os – les nantis oisifs et les dirigeants autoritaires. Ce premier dispositif imposant est un mémorial pour le citoyen inconnu, un monument fragile érigé au nom de celles et ceux qui subissent une pression économique sous laquelle ils ne peuvent que plier.

Et lorsque le monde s’écroule, lorsque les vies se brisent, alors apparaissent les noms physiques ou moraux des responsables du carnage sociétal dans lequel nous évoluons. Deux mille dix sept s’achève sur la construction frénétique d’un mur de la honte, sur lequel se retrouvent pèle-mêle les noms de celles et ceux qui ont, de près ou de loin, pu rendre si terne et instable l’année qui s’achève. Rarement dans un spectacle de danse aura-t-on vu une accusation aussi frontale, directe et nominale des maux du monde.

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