Danse
[Biennale de la Danse] Le féminisme de Mascarell et les tourbillons de Sciarroni

[Biennale de la Danse] Le féminisme de Mascarell et les tourbillons de Sciarroni

18 September 2016 | PAR Amelie Blaustein Niddam

En guise de programme d’ouverture de la Biennale de la Danse, qui se tient à Lyon et dans sa région jusqu’au 30 septembre, l’Opéra (écrin de métal noir créé par Jean Nouvel) accueille un double programme qui apparaît comme un polaroid de deux définitions contraires du verbe « danser » 

Le Diable bat sa femme et marie sa fille : Le féminisme beaucoup trop lisse de Marina Mascarell

Le plateau est ceint par des murs emplis de ballons transparents gonflés à bloc. L’idée est belle, ces panneaux rebondis devenant les supports à des projections de lèvres, de yeux, de corps. Sur le fond l’idée est parfaite : faire danser les permanences et les ancrages de la misogynie. Mais, dans la réalisation cela sonne plat.

Les danseurs vêtus de tuniques légères rappelant les chemises de nuit portées par les enfants vont s’enserrer dans une boucle. Dans une farandole lyrique où les courbes, les torsions et les volutes sont reines, ils dansent en contresens du propos. Le récit pointe par le biais de témoignages les humiliations inhérentes au fait d’être une fille (L’une raconte ses pleurs quand sa mère la déguisait en robe l’empêchant de courir avec les garçons, une danseuse raconte comment son mal de dos ne pouvait pas être considéré comme un accident du travail, car les femmes ne soulèvent rien de lourd…).

Ces récits sont des bribes d’autant plus saisissantes qu’elles trouvent naissance dans le presque rien, dans le vide du quotidien. La traduction dansée devrait être un cri mais au contraire, la chorégraphie les pousse au joli et à la légèreté. Même quand les portés se font rapides, faisant voler une danseuse comme pour la faire décoller, cela apparaît comme une recherche d’une esthétique très ancrée dans le style figuratif d’un Angelin Preljocaj. Elle fait l’erreur d’accumuler les informations : vidéo/ danse/ musique qui aucune ne se va dans la même direction. La phrase est répétée mais sans violence : une ligne circulaire dont un interprète s’extrait jusqu’à se confronter seul au groupe, au regard des autres. Dommage.

Turning_motion sickness version, le tourbillon génial d’Alessandro Sciarroni

C’était la grande interrogation. Qu’est ce que le chorégraphe italien, amoureux des performances extrêmes (Pour Folk’s , le spectacle s’arrêtait faute de combattants, pour Untitled, il mettait ses jongleurs en péril, récemment, il faisait jouer des aveugles au goalball dans Aurora), allait pouvoir travailler avec la formation classique des danseurs de l’Opéra de Lyon. Bien sûr, ces interprètes géniaux ont eux l’habitude, ils sont même passés entre les mains de François Chaignaud et Cécilia Bengolea qui avaient fait « Twerker » leurs confrères du Ballet de Lorraine. 

 

Sciarroni part d’une idée simple qui ressemble beaucoup (sans aucun plagiat) à celle que Jérôme Bel applique dans Gala : tout le monde tourne. Les enfants, naturellement dès qu’il le peuvent font des pirouettes. Mais que signifie tourner ? En rond, sur soi, sur place ? Ce mouvement intense est le synonyme d’une impossibilité à avancer, il s’oppose à la marche. L’inspiration de ce spectacle lui vient des exils qui en ce moment traversent l’Europe. Justement, il y a ces refus aux frontières, ces morts abjectes, tout ce qui fait que « ça n’avance pas ».

Alors, dans un espace blanc rempli par la lumière englobante et froide de Sébastien Lefévre, les dix danseurs habillés sports, tous différents nous regardent fixement, comme pour nous défier puis il vont commencer à tourner, à tourner, à tourner. Cela provoque des courbes, des lignes mais jamais de chute. La tension est magistrale ici, la direction impeccable. Eux ne chavirent pas et au son de la musique au beat de plus en plus techno, ils accélèrent comme des morts de faim. L’enjeu et de passer justement du tour à la pirouette, de revenir à l’académisme pour s’en libérer.

C’était audacieux et osé de la part de Yorgos Lokos de programmer cette forme très performative en ouverture de saison. La pièce a mis du temps à faire silence pour s’imposer en triomphe et en une standing ovation extrêmement méritée.

Visuels :

©MICHEL CAVALCA (Alessandro Sciarroni)
©CHRISTIAN GANET (Marina Mascarell)

Infos pratiques

Galerie Intuiti Paris/Bruxelles
Nouveau Théâtre de Montreuil
Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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