Danse
Beaubourg 1913, dans la mémoire réactivée par Dominique Brun du “Sacre du printemps”

Beaubourg 1913, dans la mémoire réactivée par Dominique Brun du “Sacre du printemps”

16 May 2014 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Bejart, Pina Bausch, récemment Xavier Leroy...et la liste pourrait être bien plus longue. Créé en 1913, Le sacre du printemps de Vaslav Nijinski fait scandale par sa radicalité. Cinq représentations à Paris, trois à Londres et c’est tout. Pas de vidéo, pas de partition chorégraphique. Et pourtant, il existe plus de deux cents versions chorégraphiques du Sacre. Depuis un siècle et un an, le nom de ce spectacle est synonyme de la fin de l’ère classique dans la danse. Aujourd’hui, l’historienne a réalisé l’impensable : interpréter puis recréer.

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Le spectacle est un diptyque : Sacre #197 et Sacre #2. Sacre #197 est une interprétation alors que Sacre #2 est une restitution. Les deux parties ont pour lien de se fonder sur une démarche de recherche historique pure. Dominique Brun est allée creuser l’archive de ce monument que tous les amateurs de danse connaissent mais qu’aucun aujourd’hui n’a pu voir. Créé il y a 101 ans, les témoins manquent à l’appel. Le Sacre raconte une prédiction, celle d’un sacrifice obligatoire pour que le cycle des saisons se fasse. L’occasion de voir les éléments se déchaîner. Le premier tableau, “L’Adoration de la terre” est lumineux, il s’oppose au deuxième, sombre : “Le sacrifice”

La première partie, Sacre #197 se centre sur la seconde partie de l’histoire du spectacle : le sacrifice donc. Dominique Brun s’est inspirée des 14 dessins de Valentine Gross-Hugo pour entrer dans les postures et le propos. Sacre #197 dépouille le plateau qui n’est habité d’abord que par le souffle puis par les ombres. Le malheur est là, les corps se raidissent, ils entrent en scène les genoux rentrés, les coudes collés aux côtes, ils courent comme des aliénés. Dominique Brun choisit de situer les costumes dans une inspiration grecque. Comme sur les coupes attiques, les visages se voient souvent de profil, les rondes se resserrent et s’encastrent. La violence est là, elle se lit dans les yeux très fardés. Le génie de cette interprétation et, contrairement à celles généralement présentées, est d’avoir cherché le pas et non le son. La suite de Stravinsky est faite de souffles et de battements qui sont ici décortiqués par la musique électroacoustique dans un souci de retour en arrière et d’avance rapide. Il y a de la reproduction, de la répétition. Il y a des sautillements et des tressaillements. La distribution a changé. Créé en 2013, il rassemblait Cyril Accorsi, François Chaignaud, Emmanuelle Huynh, Latifa Laabissi, Sylvain Prunenec et Julie Salgues. En 2014 François Chaignaud, Julie Salgues Sylvain Prunenec subsistent rejoints par Johann Nöhles, Marie Orts et Marcela Santander, Interprètes et chorégraphes, ils proposent ici une recherche sur le mouvement d’une exigence académique. C’est aussi radical et rigoureux que l’était l’œuvre de départ. Mais cela, on ne le comprend qu’en voyant la restitution.

Sur scène, pour Sacre #2, 34 interprètes dont 8 danseurs amateurs vont rejouer le spectacle, dans le décor et les costumes reproduits. Le plateau se pare d’ornements bien habituels pour Beaubourg : une grande toile peinte qui représente une rivière coulant entre de douces collines et un tapis de danse tout vert, symbolisant une prairie. Les danseurs sont très vêtus : costumes de loup, coiffes de longues tresses pour les filles… Les éléments qui étaient suggérés dans la première partie sont ici clairement montrés. Le plus saisissant est d’entrer dans la danse, extrêmement ardue, faite comme l’a compris Dominique Brun de raideur. Les rondes sont violentes, les sauts sont crispés. Vu en 2014, le geste ne semble pas classique pour un sou, l’illusion du passé est donnée par le décor.

L’ensemble offre un témoignage époustouflant. La tendance est lourde dans la danse contemporaine de refaire surgir le passé, de le réactiver. Avec moins de talent, les actuelles Rencontres chorégraphiques de Seine Saint Denis viennent de s’ouvrir avec Parades d’ Adam Linder d’après la version de Jean Cocteau en 1917. Concernant le Sacre, c’est une partition qui rend fou. On a vu Xavier Leroy ne présenter que le son en 2007. Ici, il y a une sensation forte de libération. Enfin, le mythe tombe, enfin on sait. Dominique Brun a mené à terme un travail de fourmis en recueillant sources et archives qui ont permis de déconstruire une sensation pour en faire un témoignage.

© Marc Domage

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