Danse
Le Ballet de Nice sur le sentier épineux de la renaissance

Le Ballet de Nice sur le sentier épineux de la renaissance

10 January 2018 | PAR Raphaël de Gubernatis

Il y a dix ans encore, nul n’aurait parié une portion de socca ou la moindre tranche de pissaladière quant à l’avenir du Ballet de l’Opéra de Nice. C’était une troupe en pleine déshérence, à l’effectif si réduit et au répertoire si calamiteux qu’elle semblait être condamnée à l’autodestruction. Faute d’un quelconque intérêt de la part d’une municipalité issue de la droite dure, et du fait même de l’accablante incurie des directeurs de l’Opéra, à la seule et brillante exception toutefois de Jean-Albert Cartier, en poste de 1994 à 1997, l’insignifiance de ceux qu’on nomma à la tête du Ballet ressemblait à une mise à mort annoncée et silencieuse de la compagnie.

La renaissance
Et puis, miracle ! En 2009, à l’époque de la direction de Jacques Hédouin, la nomination très politique du danseur Eric Vu-An à la tête de la troupe allait brusquement changer le cours des choses. La municipalité de Christian Estrosi prenait conscience de l’indignité qu’il y avait à négliger le ballet de l’une des plus belles salles lyriques de France ; de l’intérêt aussi qu’il y avait à entretenir une compagnie de qualité dans une ville si fière de sa renommée universelle, alors qu’à quelques lieues de là s’imposaient depuis des années l’excellence et les succès des Ballets de Monte Carlo.
Grâce à la création de huit nouveaux postes, le nombre de danseurs du Ballet de Nice passera ainsi à 26. Un chiffre modeste pour une compagnie de danse attachée à un opéra (ils sont 30 danseurs au Ballet de l’Opéra de Lyon qui se dédie à la danse contemporaine, 35 à l’Opéra de Bordeaux, 33 au Ballet du Rhin, 50 aux Ballets de Monte Carlo, pour ne rien dire des 154 danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris) ; un chiffre qui interdit de monter la plupart des grands ouvrages du répertoire classique dans ce théâtre unique et si beau qui se dresse sur la Baie des Anges, mais qui pourrait en revanche permettre de relever tout un pan d’un vaste répertoire néo-classique parfois injustement oublié et d’envisager également une authentique politique de création dans ce même registre néo-classique, aujourd’hui dangereusement négligé en France.

Un répertoire au large spectre
En quelques années, le Ballet de l’Opéra de Nice, vilainement rebaptisé Ballet Nice Méditerranée, a recouvré sa dignité, même si un long parcours reste à effectuer pour redonner tout son lustre à une troupe qui est tout de même celle de la cinquième des villes françaises, une ville dont l’histoire, le caractère et le prestige international devraient requérir un niveau d’excellence dont on est encore trop éloigné. La compagnie a repris des ouvrages comme l’exquis « Coppélia » de Léo Delibes, ballet chorégraphié par Arthur Saint-Léon et revisité par Eric Vu-An, ou « Don Quichote », espagnolade de Marius Petipa dont la partition fut commise par le très pompier Minkus . Mais aussi tout un répertoire au large spectre, courant du très académique Léo Staats, avec « Soir de fête », au post-modernisme de Lucinda Childs, post-modernisme très assagi tout de même à l’occasion de la création d’ « Océana » pour les danseurs de la Baie des Anges. Une répertoire qui passe par « La Pavane du Maure », le chef d’oeuvre de José Limon, « Cantate 51 » de Maurice Béjart, un pas de deux, « Pas de dieux », jadis composé par le danseur Gene Kelly pour Claude Bessy et Attilio Labis à l’Opéra de Paris, « Voluntaries » de Glen Tetley, « Night Creature » d’Avin Ailey ou « Gnawa » du Valencien Nacho Duato.

Honorable
Honorable : c’est ainsi qu’on pourrait qualifier aujourd’hui le niveau de ce Ballet de Nice, constitué de jeunes et bons danseurs, tous engagés désormais depuis que Vu-An a pris la direction de la troupe, mais de danseurs que l’on devrait contraindre à se dépasser, à qui manquent généralement cet éclat, ce feu, cette vaillance, cette poésie qui captivent le regard et qui font qu’une troupe passe de l’honorabilité à l’excellence.
Dans une ville qu’on peut qualifier de conservatrice, il est évidemment raisonnable de concevoir une politique sage qui ne heurte pas frontalement les goûts du public, mais qui permet en revanche de découvrir une multitude de ballets jamais vus sous le ciel de Nice. Eric Vu-An aura agi dans ce sens avec constance et raison. Cependant cette constance se heurte cruellement à un sérieux manque de moyens. Un manque de moyens obligeant à s’interroger sur la stratégie de la Ville de Nice qui entretient un ballet de taille aujourd’hui respectable, mais sans lui accorder financièrement de quoi s’engager dans une politique artistique un peu ambitieuse et d’offrir des productions de haut vol.

Avec si peu d’argent
Comment construire une programmation de qualité avec si peu d’argent pour honorer sa tâche ? Si chétif que soit son budget, Eric Vu-An tente tout de même courageusement de maintenir le cap. Mais le tout dernier programme proposé par le Ballet de l’Opéra de Nice est parfaitement révélateur des difficultés qu’il rencontre pour se maintenir à niveau. Un programme ayant assurément tout pour séduire, très raisonnablement composé pour un public où se mêlent autochtones et étrangers de passage, mais dont la traduction sur scène traduit tout ce qui fait défaut au Ballet de Nice pour un envol vers d’autres hauteurs.
Vu-An aura choisi en ouverture de soirée un duo créé en 1942 à Paris par Serge Lifar et Ludmilla Tcherina (et plus tard repris par Lycette Darsonval qui avait été première danseuse au Ballet de Nice avant la Guerre de 39-45, puis directrice de la même compagnie dès 1960), un duo retraçant, comme en précipité, la tragédie de « Roméo et Juliette » et chorégraphié sur l’ouverture-fantaisie composée sous le même titre par Tchaïkovsky en 1869. Les deux interprètes vus ce soir-là (il y en avait d’autres au cours des sept représentations de la fin du mois de décembre) étaient convenables sans être exceptionnels. Or il faut être exceptionnel pour porter un tel drame dansé à son acmé. !

Comme un rideau de fer dans la Vieille Ville
Mais tout aussi concourrait à ne pas élever ces danseurs à un niveau qu’ils auraient pu ambitionner d’atteindre dans un contexte plus porteur. Comment se dépasser sur scène alors que dans la fosse l’Orchestre Philharmonique de Nice maltraite aussi cruellement la partition et se comporte comme un orphéon municipal ? Comment incarner les deux amants sacrifiés quand, lors de deux scènes emblématiques où, côté jardin, un rideau pourpre découvre la scène du balcon, puis un autre, côté cour, dévoile le tombeau où gît Juliette, quand ces rideaux qui devraient se relever avec un quelque chose de suave, de grave ou de théâtral, sont tirés avec brusquerie par les machinistes, tout comme on soulèverait un rideau de fer dans une échoppe de la Vieille Ville ?
Toute la difficulté est là ! Tendre à l’excellence dans un contexte de laisser-aller, au milieu de fonctionnaires municipaux peu concernés par le travail des jeunes artistes, apparaît comme un combat sans grand espoir de vaincre.

Des décors désespérants
On pourrait dire la même chose de la représentation de « La Sylphide», un emblème du ballet romantique. Faute d’effectifs et de moyens, ce n’est évidemment pas la version magnifiquement recomposée naguère par Pierre Lacotte, d’après le chef d’œuvre de Taglioni créé en 1832, qui est ici reprise. Mais celle, plus réduite, qu’Auguste Bournonville, alors en poste à Copenhague, composa en 1836 pour le Ballet royal de la Cour de Danemark. C’était évidemment une excellente idée que de donner à voir une version méconnue en France sans prétendre singer le Ballet de l’Opéra de Paris qui affiche, lui, la vision de Taglioni/Lacotte. Sauf que la version de Bournonville, en tout cas telle qu’elle est remontée par la Danoise Dinna Bjorn, est infiniment plus plate, mièvre et moins poétique. Elle est de surcroît accompagnée par la partition d’un autre Danois, le très obscur Herman Severin Lovenskiold, partition datant de la création de 1836 et qui est d’une insignifiance abyssale. Dur de s’épanouir et de briller sur une musique aussi médiocre, mais encore dans des décors désespérants et désuets, repêchés, faute de moyens, dans les réserves les plus poussiéreuses du Ballet du Rhin.

Lyrisme et hiératisme
Tout est dit. Si le le Ballet de l’Opéra de Nice doit impérativement se hisser à un niveau plus brillant que le sien aujourd’hui, encore faut-il qu’il puise s’en donner les moyens, qu’il soit porté par des ouvrages qui l’inspirent. Et cela dans un contexte autrement plus favorable, où soient mieux reconnus ses efforts. Cela avait été le cas, il y a quelques années, quand Nacho Duato avait été requis pour céder à la compagnie son « Por os muero », une chorégraphie dont le lyrisme et le hiératisme avait trouvé d’excellents interprètes parmi les danseurs de Nice. Et lors de la même soirée, avec une création de Lucinda Childs, « Océana ». Même si celle-ci n’est pas à classer au rang des chefs-d’oeuvre de la chorégraphe américaine, elle avait aussi révélé les qualités des danseurs niçois. Pour hisser une compagnie vers le haut, encore faut-il lui donner de quoi s’enthousiasmer et créer autour d’elle un climat favorable. Or il est bien difficile de s’enthousiasmer quand on est accompagné par un orchestre sans grand panache et dans des décors aujourd’hui ridicules.

Une magnifique embellie
Pour autant, le Ballet Nice Méditerranée connaît une magnifique embellie depuis ces temps tout proches où l’on envisageait de le supprimer. Le nombre de représentations a explosé ; la compagnie part ici et là en tournée, en France, en Italie, en Espagne, en Russie, en Chine, à Hong Kong. Et cela enchante sans doute la municipalité, seule pourvoyeuse de subventions, de voir que son Ballet s’exporte et avec elle exporte le nom de Nice. Il a eu récemment les honneurs de la chaîne télévisée « Mezzo ». Et à Nice même, son public s’est infiniment élargi. En témoignent les représentations multipliées à Saint-François de Paule (neuf salles quasiment combles avec « La Sylphide », pour quelque 7000 spectateurs) et la conquête de nouveaux publics au Théâtre national de Nice, au Théâtre de verdure en été ou au Théâtre d’Antibes. Bientôt les danseurs auront à se confronter à des chorégraphies de Jerome Robbins (« En Sol ») et d’Oscar Araïz (« Petrouchka »). Mais aussi à « Five Tangos » de Hans Van Manen et aux « Quatre derniers Lieder » de Rudi Van Dantzig
Et toujours dans la veine néo-classique qui est celle du Ballet de Nice, ils auront à se surpasser en s’attelant à l’interprétation de « Sinfonietta », oeuvre de l’un des plus brillants, de l’un des plus virtuoses parmi les chorégraphe de notre temps, Jiri Kylian. C’est là un pari ambitieux pour cette jeune formation et rares sont les compagnies à savoir en relever le défi.

Raphaël de Gubernatis
Prochaines représentations du Ballet de l’Opéra de Nice, Nice Ballet Méditerranée :
Rome, Parco della Musica, le 15 février 2018 : (« Cantate 51 » de Maurice Béjart, « L’Arlésienne » de Roland Petit)
Aix-en-Provence, Grand-Théâtre de Provence, le 7 mars 2018 : (« Don Quichotte » de Marius Petipa, adapté par Eric Vu-An)
Nice, Opéra, du 13 au 21 avril 2018 : (« En Sol » de Jerome Robbins, « Petrouchka » d’Oscar Araïz, « Verse Us » de Dwight Rhoden)
Nice, Théâtre de Verdure, les 29 et 30 juin 2018 : (« Viva Verdi » de Luciano Cannito, « Verse Us » de Dwight Rhoden)

Visuel : ©En Sol, Petrouchka, Verse us, site de l’Opera de Nice

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Raphaël de Gubernatis

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