Danse
« Aujourd’hui, Sauvage »: Fabrice Lambert sublime l’originel à la Comédie de Clermont

« Aujourd’hui, Sauvage »: Fabrice Lambert sublime l’originel à la Comédie de Clermont

13 September 2018 | PAR Yaël Hirsch

Après le succès de Jamais assez, créé au Festival d’Avignon en 2015, le chorégraphe Fabrice Lambert et l’Expérience Harmaat poursuivent l’enchantement avec la création de Aujourd’hui, Sauvage à la Comédie de Clermont, au cœur de la Biennale de la Danse de Lyon étendue à la Région Rhône-Alpes-Auvergne depuis deux éditions.

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Alors que les nouveaux murs de la Comédie de Clermont sont en plein travaux et seront prêts pour janvier 2020, c’est à la Coloc’ de la culture à Cournon, qu’a lieu cette première de Aujourd’hui, Sauvage, ce mercredi 12 septembre. Le chorégraphe associé à la Comédie de Clermont, Fabrice Lambert et ses sept danseurs ont répété et travaillé le spectacle ici et y sont chez eux.

La salle est comble lorsque nous nous installons devant une scène déjà pleine : au cœur, un imposant dispositif scénographique signé Sallahdyn Khatir fait penser à du Land Art. Après une brève présentation par l’attachée culturelle de la ville et le Directeur de la Comédie de Clermont, sur une musique profonde et essentielle de Marek Havlicek et Benjamin Colin, le grave rocher se met à vivre dans la pénombre.

Dans la lumière chaude et précise de Philippe Gladieux, l’on découvre que la structure est souple, en tissu, et les danseurs l’habitent comme des ombres dans la caverne de Platon. Ils marchent, ils courent, ils avancent, les extraordinaires Aina Alegre, Jérôme Andrieu, Mathieu Burner, Benjamin Colin, Vincent Deletang, Corinne Garcia, Hanna Hedman et Yannick Hugron. Ils testent souplement les limites de ce giron originel. La musique, la lumière, leurs mouvements, tout est très travaillé, « fait ensemble », selon le mot de Fabrice Lambert. Et c’est là, juste au moment où la grande structure à la Dan Graham ascensionne une première fois, au moment où l’ombre et la lumière, le fermé et l’ouvert, le dur et le mou se mêlent que quelque chose dans le spectateur lâche prise et se laisse emporter. Libres, libérateurs, les danseurs se mettent à jouer chacun une partition intime, puissante, débridée. Sauvages comme des enfants le sont, mais jamais barbares ou violent, ils dansent chacun depuis là d’où ils viennent et se retrouvent dans des grands sauts joyeux d’enfants prodigués. Alors que Fabrice Lambert interroge le sauvage mais aujourd’hui, pour nous, pour ce que nous en faisons ici et maintenant, nous abandonnons les références, la raison et la civilisation. Nous sommes déjà avec eux, par delà le vrai et le faux, juste partis vers cette lumière de l’origine, quand ils dépassent encore d’autres limites en venant nous chercher dans la salle. La structure retombe, mais ce n’est pas menaçant : c’est une deuxième peau, c’est dans la douceur d’une lumière chaude et tamisée et c’est tout un monde grouillant de vie et d’ombres qui se projette devant nous DANS les parois multiples de cette cage de tissu qui découvre les corps dansant et actifs, ombres et sources de lumière, ainsi que les corps lentement projetés sur le tissus, comme autant de caresses. C’est tout simplement sublime de beauté. La musique s’emballe, les infra-basses sont de plus en plus profondes et les fils rouge du dispositif remontent pour laisser place à un autre état de conscience et de danse, l’exultation, à nouveau. C’est physique, c’est un festin et quand les fils retombent, l’on se demande comment aller encore plus loin dans le sauvage. Fabrice Lambert et ses danseurs y parviennent, dans une espèce de souffle essentiel de marionnettiste où c’est simplement la scénographie qui se met à danser, tous voiles dehors, animée par les danseurs qui semblent à la fois calmer le jeu et le poursuivre dans une danse précise des bras et des mains. Les couches de la structure centrale s’animent comme autant d’invitations à renouer avec quelque chose d’essentiel et quand la lumière et la musique parfaitement accordées se fondent avec douceur dans le noir et le silence, il y a quelque chose qui culmine, comme une réparation. L’on reste dans son fauteuil, longuement, comme apaisé, alangui et subjugué par cette sauvagerie si belle et si douce qui a chatoyé dans la lumière d’âmes communicantes.

Un spectacle exceptionnel, qui rejoue ce 13 septembre à Cournon, part plus proche de Lyon le 19 septembre au Toboggan de Décines, puis part en tournée à partir de décembre 2018, avec notamment la Maison de la Musique de Nanterre, le 19 janvier 2019, et Faits d’Hiver / Théâtre de la Ville hors les murs au Centre Pompidou du 6 au 9 février 2019.

Visuels : affiche et photo Fabrice Lambert ©Jean-Louis Fernandez

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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