Danse
Noé : le déluge selon Thierry Malandain

Noé : le déluge selon Thierry Malandain

17 May 2017 | PAR Marianne Fougere

A la demande de son directeur, Didier Deschamps, le Malandain Ballet Biarritz revient à Chaillot pour présenter  Noé, véritable portrait de l’humanité en mouvement. Une pièce puissante et salvatrice dans un temps qui, comme le nôtre, semble être celui non pas seulement de “la” mais des catastrophes.

Théâtre national de Chaillot : décembre 2016 ; mai 2017. Un même lieu, deux spectacles ; un même lieu, deux chorégraphes : l’un à l’ascension fulgurante, l’autre au parcours plus discret. Tous deux partagent, cependant, un combat en commun : celui de rendre la danse française moins amnésique, l’absence de mémoire condamnant les chorégraphes à rééditer, sans le savoir, les mêmes choses. Ainsi, quand Angelin Preljocaj reprenait, trente ans après sa création, son Roméo et Juliette pour lui apporter une nouvelle strate, Thierry Malandain revivifie, ces jours-ci, la figure de Noé et le mythe du Déluge.

La pièce s’ouvre sur le meurtre de Caïn, signe annonciateur de la déchéance imminente de l’espèce humaine. Prétexte à un récit imaginaire, le mythe biblique, revu et corrigé par Malandain, est surtout l’occasion d’une interrogation profonde sur la condition humaine de pluralité et de natalité. Soudée, reliée et apaisée, divisée, séparée et déboussolée, la communauté humaine est ainsi envisagée sous ses différents aspects : celui de la solidarité, quand les bras s’entrecroisent pour de longues chaînes humaines, celui de la fluidité des appartenances quand les couples alternent et se recomposent sans cesse, celui encore du renoncement quand l’humanité nous apparaît les bras ballants. Pluralité des relations donc, pluralité des hommes qui, bien que dans le même bateau, autrement dit égaux, n’en sont pas moins distincts les uns des autres, chacun se singularisant par ses propres actions : l’un s’émancipera ainsi du collectif, l’autre initiera un mouvement, sitôt rejoint par l’ensemble du groupe.

Epuré, limpide et vibrant, Noé fait preuve d’une brutalité à laquelle le chorégraphe dentellier de Cendrillon nous avait peu habitués. La danse proposée par Malandain a en effet ceci de particulier qu’elle fait entrer en résonance la sacralité envoûtante de la Messa di Gloria de Rossini avec le mysticisme tout en pulsations des rituels tribaux. Et ce double héritage spirituel s’avère bien nécessaire pour ne pas céder, trop rapidement, à l’abattement. Car, Malandain ne nous épargne aucune catastrophe : le pire, tapis dans l’ombre, demeure, bien qu’incertain, toujours possible. Malandain, cependant, le sublime si bien qu’il devient possible de croire encore au miracle, de croire encore en la capacité humaine d’initier, au cœur des pluies diluviennes, de nouveaux commencements. Et c’est peut-être  dans cette brèche entrouverte par le Déluge que réside l’une des plus belles leçons de réalisme politique qu’il nous ait été donnée de voir cette saison.

Visuel : © Olivier Houeix

Infos pratiques

Théatre Gérard Philipe
Comédie saint michel
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