Danse
Annamaria Ajmone et Jule Flierl font entrer la voix dans la jungle aux Rencontres

Annamaria Ajmone et Jule Flierl font entrer la voix dans la jungle aux Rencontres

30 May 2018 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Oui, les rencontres, dans le jargon. “Les rencontres”. Et hier, pour l’iconique Soirée partagée des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, pour bien les nommer, l’italienne et l’allemande ont créé le choc.

Trois pièces étaient présentées hier soir et le seront jusqu’au 31 mai. Noise Quartet Meditation de l’australienne Lilian Steiner, un ersatz de Fase, la chorégraphie fondatrice d’Anne Teresa de Keersmaeker, teinté d’un folklore tribal, faussement déphasé. Passons. Les deux suivantes, Trigger d’Annamaria Ajmone et Störlaut de Jule Flierl ont chacune dans leur genre questionné une nouvelle fois les identités de la danse.

Certains ont pu voir danser Annamaria Ajmone en 2015 à  la Biennale de Venise, au milieu des gondoles,  Squero San Trovaso. C’est ce qu’elle fait. Non pas danser avec vue sur le canal mais installer un geste quelque part. Elle était à Paris il y a quelques jours pour présenter Trigger dans la cour carrée du Théâtre des Abbesses. Basculée au Colombier à Bagnolet par temps d’orage, Trigger prend une allure plus sauvage. Elle est seule en scène et le public est presque autour, en pointe mais aussi sur les gradins. Une drôle de configuration bien volontaire qui impose à la danseuse de passer partout :  devant, derrière, entre.

La bande son est quelque part entre Chaplin et les cris des animaux de la jungle. Là, vous trouvez cela étrange. Pourtant “ça” ne l’est pas, c’est sauvage, on vous l’a déjà dit. Annamaria Ajmone a un rapport distancié à la pratique. Elle danse libre en ayant avalé une masse immense de technique. Elle peut tout sans avoir l’air de jouer. Elle se déboîte en muse du burlesque, roule les yeux ronds, mouline. Sa danse qui commence par quatre phrases identiques venant imposer de la force se déploie ensuite comme une lionne. L’espace du plateau devient sa zone, qu’elle dirige et qu’elle maîtrise et qu’elle parcourt en ce qu’elle est, la reine de la jungle.

Julie Flierl a un autre rapport à l’espace. Sa biographique commence comme ça : “Julie Flierl a travaillé comme gogo danseuse dans un bar gay turc”.  Et maintenant, faites de cela ce que vous voulez ! Plus tard on apprend qu’elle “reçoit une bourse du Sénat de Berlin pour sa recherche en archive sur les danses sonores de Valeska Gert”. Le cadre est posée, elle aussi sait se débrouiller en plein territoire sauvage.

Störlaut signifie “Mot qui dérange” en allemand, et au commencement, c’est l’image qui gêne. Elle est grotesque. Le visage maquillé à la façon d’un clown défoncé, en jogging, les pieds habillés de plateform shoes composées de deux paires de baskets. Le public est lui assis sur le plateau, sur des coussins. Ici et là quelques bas podiums ponctuent l’espace. Et elle va se mouvoir et elle va aussi chanter à la façon d’une artiste lyrique ou en singeant les pop-stars. Elle est fascinante. Elle nous parle, nous raconte que tout a toujours commencé. Et cela est très vrai. Il faut prendre le temps d’entrer dans son univers très étrange. Elle incarne sans mimétisme le travail et l’héritage de Valeska Gert, expressionniste allemande, juive, qui a fui le nazisme pour New York avant de revenir à Berlin après guerre. Elle est vue comme la première à avoir utilisé la voix sur une scène de danse. Actrice, humoriste, danseuse, elle caricaturait la bourgeoisie allemande pour mieux s’en moquer avec virulence.

Störlaut est une pièce hybride à la fois chorégraphique et sonore. Attention, rien de beau ni de mélodique ici. Tout sonne faux et c’est terriblement juste. L’idée défendue par Julie Flierl est que Valeska Gert est actuelle. Résolument contemporaine. Ici, les images sont troublées par l’audio. Quand nous  la regardons, nous sommes saisis par sa voix qui dit “non” dans une baffle juste à côté de nous. Ses déplacements nous déplacent, ses sons nous déplacent, mais son image nous scotche. Elle se tord, se pend, meurt, ressuscite, convulse presque, est possédée.

On a la sensation très forte, alors que visuellement rien ne nous raccroche à cela, d’être avec Valeska au Kohlkopp. Toute la force politique des cabarets berlinois est présente ici, dans le corps comme possédé, et qui finira épuisé, de Julie Flierl.

Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis continuent jusqu’au 16 juin, avec à venir Cindy Van Acker, Oona Doherty, Mylène Benoit… Tout le programme est ici

en Visuels :

Trigger ©Andrea Macchia

Störlaut©Oh Site

 

Infos pratiques

Centre Régional d’Art Contemporain à Sète
Le Nouveau Ring impasse Privée, 84000 Avignon
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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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