Cirque
« Ah com’è bello l’uomo », tentative de critique sociologique sur échelle

« Ah com’è bello l’uomo », tentative de critique sociologique sur échelle

13 April 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Ah, com’è bello l’uomo (Ah, que l’homme est beau) est un spectacle de cirque très théâtralisé de la Compagnia Zenhir, qui fait appel aux acrobaties au sol, aux portés et à l’équilibre sur échelle. La belle maîtrise de ce dernier agrès satisfera ceux qui veulent de la technique. Pour les autres, une histoire bien jouée, mais un peu convenue et explicative, même si elle a ses beaux moments. Il y a là de la malice et de la générosité, mais la tension retombe trop souvent. Agréable, mais pas complètement satisfaisant.

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C’est à une drôle d’histoire que nous convient les trois jeunes artistes qui composent la Compagnia Zenhir. Celle de la transformation de l’Homo primalis en Homo superlativis, qui l’amène, insidieusement, à n’avoir plus avec le monde, avec les autres, puis finalement avec lui-même, qu’une relation intermédiée par les écrans et les réseaux sociaux. Cette histoire, évidemment, c’est celle des sociétés industrialisées. Qui nous invite encore et toujours à nous poser la même question : Qu’avons-nous perdu au cours de cette évolution ?

Sous des dehors d’un discours un peu convenu, qui se défend de toute posture de jugement mais qui ne semble pas moins prendre parti, il y a l’intelligence du circassien, c’est-à-dire l’intelligence du corps : la justesse du spectacle est moins dans la mise en scène d’un personnage désespérément en quête de likes, ou accro aux selfies, que dans l’évidente transformation des corps et des mouvements. Le corps souple, nu, libre, joyeux de l’Homo primalis devient le corps mis en scène de l’Homo superlativis, crispé sur son interface, enfermé dans la mise en scène perpétuelle de sa propre existence. Habile parallèle, que de montrer, à l’aide d’équilibres de plus en plus risqués, ce que cette course à la valorisation nous pousse à commettre de folies. Car elle partage avec le cirque cette quête du toujours plus osé, du toujours plus haut. La grande différence étant que l’artiste peut être généreux, et offrir ce dépassement à son public, là où la fièvre du selfie est un délire purement égotique.

Le début du spectacle est plutôt convaincant. L’entrée en matière ne manque pas d’humour, où les artistes invitent les spectateurs à voter avec leurs téléphones portables pour décider si la première scène se jouera en authentique tenue d’Adam et Eve – on gage que le résultat ne doit pas souvent être négatif. S’ensuit un joli éveil des corps, nus mais pudiques, dans leur simplicité, d’abord vaguement animaux, mais très rapidement juste souples et déliés. De beaux jeux d’éclairage, et de belles images. Après s’être rhabillés, non sans quelques gags, les deux principaux protagonistes s’emparent de la piste pour quelques passages de danse acrobatique enthousiasmants : c’est rythmé, vivant, beau, et cela donne envie de voir la suite.

Sauf que la suite, justement, se dilue dans la volonté de discourir sur son sujet, et dilue la belle énergie des interprètes dans trop de signes, trop explicites. De beaux passages d’équilibre sur échelle ponctuent cette deuxième moitié du spectacle, sans retrouver la grâce et la poésie du début, mais sans trouver non plus leur propre énergie, peut-être à cause d’un relatif manque d’accompagnement musical et de lumières trop plates. En bon points, en peut tout de même souligner de belles prouesses aux équilibres, avec un final impressionnant, et une volonté de jouer avec le public parfois maladroite mais toujours touchante.

Au total, on en retient des interprètes talentueux, autant pour leurs disciplines circassiennes que pour le jeu théâtral, attachants et pleins d’énergie. Mais, s’agissant d’un spectacle où la théâtralisation l’emporte presque sur le cirque, l’absence d’une histoire originale comme de personnages forts ne permet pas à la proposition de dépasser le niveau d’un agréable divertissement. Une belle tentative, en somme, qui pèche par l’écriture.

Jusqu’au dimanche 15 avril sous le chapiteau du Cirque Electrique, à la Porte des Lilas.

 

Distribution :

De et avec : Elena Bosco, Giulio Lanfranco, Flavio Cortese

Aide à l’écriture et mise en scène : Albin Warette

Aide à la création : Roverto Magro, Serena Lo Previte, Ben Fury, Peter Jasko, Elodie Cercleux, Jean-Michel Guy, l’équipe du Magdaclan, Enrica Camurati

Visuels: (c) Hervé Photografff, Christophe Chaumanet, Laura Tyke

Infos pratiques

La Scène Watteau
Musée d’Orsay
cirque electrique

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