Cirque
BRUT d’émotion, au carrefour de la danse, de l’acrobatie et du théâtre

BRUT d’émotion, au carrefour de la danse, de l’acrobatie et du théâtre

21 October 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Proposé lors du premier week-end du festival du cirque actuel CIRCa, BRUT, mis en scène par Marta Torrents, constitue une très belle proposition qui fusionne indistinctement, et avec bonheur, la danse, l’acrobatie, le jeu théâtral, pour en faire un instrument de révélation du corps même des interprètes et des émotions qu’il porte. Vibrant, coloré, puissamment expressif, c’est un spectacle qui offre un très beau voyage émotionnel, en plus de joliment flatter l’oeil.
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Un travail sur le corps, un travail de vérité

BRUT, c’est une quête d’authenticité, de vérité de ce qui fait l’humain, ou plutôt des états qui traversent l’humain. Une recherche centrée sur le corps, son expressivité, sur l’émotion qui peut le traverser, le changer, et atteindre, au travers lui, celui ou celle qui l’observe.

Cette authenticité, Marta Torrents la trouve donc à l’endroit de la chair en mouvement, débarrassée de ses artifices. En effet, s’il y a des paroles dans BRUT, ce ne sont pas des dialogues : monologues déclamés face public – comme une parodie du théâtre – ou ordres aboyés à un autre interprète, parfois, mais il n’y a pas de réciprocité ou d’échange. Comme pour signifier que la parole est vaine, qu’elle constitue une impasse relationnelle. De même, l’image finale est celle d’une chaise, placée au centre de la scène, sur laquelle une interprète a laissé son manteau de fourrure, comme pour souligner l’intention, qui serait de dépouiller l’acteur de ses oripeaux.

Le travail artistique de Marta Torrents porte donc exclusivement sur le corps, mais sur le corps expressif, et pour elle tout est moyen d’arriver à cerner cette expressivité. Aussi se saisit-elle de toutes les disciplines corporelles, danse, acrobaties, théâtre de gestes, pour mieux arriver à l’endroit qui l’intéresse. Elle-même formée à la fois à l’art dramatique puis au cirque, elle s’appuie sur ce double héritage pour mieux construire sa singularité. L’appui de Marion Guyez à la dramaturgie contribue certainement à ce que l’objectif fixé soit atteint, de manière aussi complète.

Une fusion parfaitement maîtrisée par les interprètes

Qu’est-ce que BRUT, alors, donne à voir ? Des êtres parfois seuls, parfois en interaction, souvent en duo, qui font la brillante démonstration que leur états émotionnels n’ont pas besoin du medium verbal pour être immédiatement manifestes et compréhensibles. Ceux-là s’impriment si clairement sur les visages, dans les gestes, au sein des situations, que le Verbe n’a plus qu’une place dérisoire, inutile, redondante. Peut-être même, à un certain moment, atteint-on une inversion. Peut-être, passé un point de retournement, les émotions naissent-elles du corps, la sensation-physique précédant et déclenchant la sensation-sentiment?

Sur scène, en tous cas, le travail des quatre interprètes est impressionnant. Le nombre de techniques différentes qu’il leur faut maîtriser est important. Qu’on imagine qu’il se mêle contorsion – c’est surtout l’apanage de Gina Vila Bruch -, acrobaties, danse – contemporaine bordant parfois sur le hip hop -, mime, interprétation théâtrale, on se doute que n’importe qui ne peut pas se couler avec bonheur dans une partition aussi exigeante.

Et pourtant, les quatre artistes avec lesquels Marta Torrents a collaboré sont tous au niveau de ce qui leur est demandé. Non seulement ils ne commettent pas de faux-pas, mais ils excellent même dans toutes leurs parties, et déroulent le spectacle avec une surprenante fluidité. Certaines scènes sont surjouées, mais c’est à dessein : il s’agit justement des monologues creux puisqu’adressés, finalement, dans le vide, qui versent dans des crescendos assez délirants. Mais quand l’émotion se fait plus fragile, plus subtile, les interprètes sont encore au rendez-vous : dépendance, fragilité, rejet, fascination, tout peut se traduire si les gestes sont clairs, l’expression juste, l’état intérieur affiché à fleur de peau.

Les signes corporels sont clairs, quand il y en a. Les métaphores sont efficaces. Au-delà, les frémissements, les sentiments, clairement perceptibles, emmènent très sûrement les spectateurs dans ce tourbillon qui dure pendant 55 minutes.

Une mise en scène claire et efficace

L’équilibre atteint entre les différentes techniques convoquées contamine même d’autres aspects de la mise en scène, telle la mise en lumière. Si on retrouve souvent la lumière pleine et franche, imperceptiblement chaude, de la blackbox du théâtre, on a aussi beaucoup d’effets typiques de la danse, avec des lumières projetées ras du sol par exemple. La scénographie est éminemment passe-partout, puisque la boîte du théâtre tendue de pendrillons noirs accueille juste deux chaises blanches, posées sur un tapis de danse lui-même blanc. L’entrée des interprètes par le parterre, dans un théâtre à l’italienne, est devenu tellement convenu qu’il constitue presque une caricature du théâtre contemporain. Les signaux se mêlent et se bourillent à l’envi.

Boris Billier, à la création musicale, a fait un travail très contemporain, qui brasse beaucoup du côté des musiques électroniques. Mais le moment le plus marquant du spectacle, de ce point de vue, reste sans doute la reprise de Tango till they’re sore de Tom Waits par Guilhem Benoit s’accompagnant d’un petit piano électronique.

Il s’agit donc d’un spectacle tout-à-fait fascinant, par la fusion très heureuse qu’il arrive à trouver entre ses points d’entrée. On doit ajouter, pour être complet, qu’il est aussi plein d’humour, avec un comique de situation très habilement bâti sur les interactions des personnages, et, évidemment, aussi, avec un peu de comique purement corporel (fausses rattrapes, etc.).

Un spectacle qu’il est donc possible de recommander, sans hésitation, à tout amateur de spectacle vivant. Prochaine représentation à Montpellier Agglomération fait son cirque en novembre.

 

DISTRIBUTION:

Mise en scène: Marta Torents
Avec: Guilhem Benoit, Gina Vila Bruch, Anna Von Grünigen, Nicolas Quetelard
Dramaturgie : Marion Guyez
Création sonore : Boris Billier
Lumières : Timothé Gares- Loustalot ou Coralie Trousselle
Visuels: (c) Gilles Quenum

Infos pratiques

Jardin du Palais royal
Théâtre de la Cible
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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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