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1970-1981 : le peuple de la culture

1970-1981 : le peuple de la culture

09 May 2011 | PAR Pascal

1976, théâtre de l’Aquarium. Vincennes. Dans les jardins du théâtre du soleil, les militants du front rouge (Parti Communiste Révolutionnaire Marxiste Léniniste Français), parti maoïste, préparent leur fête : stands alimentaires, stands politiques, stands du tiers-monde, scène pour les concerts et les interventions des camarades dirigeants, préparation des jeunes à aller porter la bonne dialectique aux visiteurs, le quotidien du peuple à la main. A l’intérieur, dans le théâtre, une pièce au nom poétique se joue : La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras, mise en scène Ariane Mnouchkine. Inspirée du mouvement de grève et d’autogestion de l’usine LIP (Besançon), cette création collective de 1976 cristallise bien les questionnements relatifs à la représentation du monde ouvrier : comment témoigner de ses luttes sans pour autant les singer ? Comment faire entendre ses paroles sans pour autant l’en déposséder ? Ici, l’idéal est prolétarien, l’art est prolétarien, la culture transversale est politique. Face au Giscardisme, des mouvements trotskystes au Parti Socialiste, des maoïstes au Parti Communiste français, la culture devient le bloc transversal, qui, au-delà du loisir esthétique, devient un besoin de la vie citoyenne et l’arme suprême, unitaire et efficiente du 10 mai 1981. Retour sur la jeune lune.
N’allons pas jusqu’à dire que la culture a mené François Mitterrand à la présidence, mais le champ culturel de la politique, vraisemblablement. Si ce n’est la culture au sens propre, la politique de par ses programmes, sa jeunesse et son idéal ouvriériste suite à mai 68, la longue marche de Mao, et la séduction des intellectuels anticolonialistes ont porté les fondements du marxisme dans les moindres institutions.
Pénétrons un instant dans un lycée parisien, un café, une salle de permanence, un amphithéâtre, un couloir de fac, tout n’est que meeting et disputes, service d’ordre et armée prolétarienne, culture léniniste, chants révolutionnaires, programmes communs ou pas, staliniens ou trotskystes, internationalistes de toute façon. Idem des salles de profs. Et, de voir certains conseils de classe mus par des convictions de fonds sur le monde et son devenir avec en exergue cette question en suspend : Voter Mitterrand au second tour est-ce contre révolutionnaire et digne d’une révolution culturelle ? Réflexion sur la notation, la pédagogie, le rapport à l’enfant, à l’adolescent, réflexion sur la communication via Palo Alto (Los Angelès) avec Ivan Illich (la Némésis médicale, le concept de la « convivialité »,le monopole radical, l’écologie politique, la décroissance soutenable) et d’éminents « savants » tel Neil Postman (Teaching as a subversive activity, Teaching as a conserving activity) ou dans le domaine linguistique Noam Chomsky et sa vision structuraliste. La culture politique est le fait majeur des années 70, celles qui porteront de par leur transversalité le Parti Socialiste au pouvoir, et, à ce point puissant, que François Mitterrand – avec toutes les réserves sur son esprit de « gauche » que l’on peut lui accorder – ne pourra que suivre face à ce peuple de la culture qui l’avait élu.
Lénine avait-il lu la Théorie scientifique de la culture de Malinowski quand la théorie des besoins rencontre la théorie de la profusion. Vraisemblablement. La culture est un besoin, un fait de durée, non un évènement ou un ornement. Le terme de culture en lui-même est une notion polysémique, vague qui fait débat auprès des ethnologues. Malinowski va donc s’intéresser à la culture et a pour objectif majeur de montrer que toutes les sociétés de quel type soit-elles, primitives ou modernes, sont dotées d’une culture propre.
«Quand un peuple devient un auditoire et les affaires publiques un vaudeville, la nation court un grand risque: la mort de la culture menace». «Ne pas avoir conscience qu’une technique arrive équipée d’un programme de changement social est, à cette heure tardive, une stupidité pure et simple.(…) Introduisez l’alphabet dans une culture et vous changez ses habitudes cognitives, ses relations sociales, ses notions de communauté, d’histoire et de religion. (…)Introduisez la transmission d’images à la vitesse de la lumière et vous faites une révolution culturelle. Sans vote. Sans polémiques. Sans résistance ni guérilla. Voilà l’idéologie sans mots, d’autant plus forte qu’elle est silencieuse.»
«Orwell craignait ceux qui interdiraient les livres, Huxley redoutait qu’il n’y ait même plus besoin d’interdire les livres car personne n’aurait plus envie d’en lire. Orwell craignait ceux qui nous priveraient d’information, Huxley redoutait qu’on nous en abreuve au point que nous en soyons réduits à la passivité et à l’égoïsme. Orwell craignait qu’on nous cache la vérité, Huxley redoutait que la vérité ne soit noyée dans un océan d’insignifiances.»
Le bloc de gauche est d’une complexité et d’une ambigüité subtile, pour cause de culture propre, propre à sa classe, propre à son programme, son idéologie et ses dogmes, ses leaders et gurus, ses livres de référence. Années 70, années de crise, rapport politique fort avec la culture, qui devient un fait anthropologique.
Parler d’une culture de gauche serait une hérésie. Même si Marx nous apprend dans le Capital que les comédiens sont les premiers prolétaires, quel auteur, quel dramaturge, quel chanteur n’a pas été un enfant du siècle ? Le cinéma italien fait fortune sur la crise et la misère, le cinéma et la musique made in USA gère le Vietnam et la baie des cochons, l’Allemagne cherche le pardon dans l’Europe et la reconstruction écologique d’une politique sociale de la jeunesse, Londres appelle de son rock et de son cinéma la chute de la maison « traditions », sans vraiment y croire. Il n’en reste pas moins vrai que la culture s’exprime dans un contre-chant systématique. Est venue l’heure en mille neuf cent quatre-vingt de choisir son camp « camarade » et de se demander ce qu’est une culture populaire. Si le langage marxiste, la dialectique, traverse depuis Yalta, tant la vie que les citoyens et l’art de la cité, il est porté dans le monde universitaire par des domaines de recherche en pleine effervescence : la psychologie, la pédagogie, la communication, la sociologie. Et de constater, qu’une brèche télévisuelle et médiatique se fait jour. D’une part, les divertissements dans une télévision d’état, nationale, dont les seuls impertinents remplissant leur fonction de bouffons se nomment Thierry Le Luron, Jacques Martin et Coluche. Les comédiens s’autoproduisent dans de petits théâtres comme le Café de la gare perpétuant l’esprit innovant du festival d’Avignon qui fera tâche d’huile, comme un art indépendant et sans subvention, volontaire, libre, d’une anarchie sans prétention que la représentation de l’œuvre pour l’œuvre.
La culture populaire est-elle marquée du sceau de la gauche avant Mitterrand ? Non. Mais le mot, sa définition, sa profusion sont des ferments des artistes et des intellectuels, modernes, baignés d’une culture politique qui se l’approprient, naturellement, comme le firent les surréalistes trotskystes, pacifistes et internationalistes. On assiste dans les fêtes politiques à des questionnements intéressants sur cette dimension populaire. Est-il plus pertinent de faire venir Eddy Mitchell que Téléphone ou Asphalt Jungle à la fête de Front Rouge ou de la ligue communiste révolutionnaire ? La fête de l’huma a tranché : l’éclectisme et de grandes stars en final sur la grande scène avant le discours de Georges Marchais. L’important est d’avoir le peuple dans son enceinte et de lui proposer par ses militants le débat. Si le prolétariat est une icône idéologique et formelle pour les penseurs, la pensée n’en est pas moins condescendante et souvent absurde. La jeunesse elle, choisit ses idoles. Ils sont punks, décadents, indépendants, reggae et les joueurs de flûte boliviens ou chiliens ne passeront pas sur les platines des chambres. D’un côté le mouvement des idées avec sa langue et son vocabulaire, sa culture politique, sa révolte et son besoin de profusion. De l’autre, son attrait pour le « dark side », « le rock progressif », l’électro planante, dans l’esprit laïc de l’égalité des chances, fruit de mai 68.
De cette profusion témoignant d’un besoin, de cette culture politique, de ces pirates institutionnalisés, le premier septennat de François Mitterrand de par Jack Lang, comprit que le pouvoir était affaire d’écoute, de vision, de liberté de communication et de diffusion. La technologie aidant, les tuyaux médiatiques s’élargirent, la culture fut ouverte et gérée donnant à la liberté d’expression ses lettres de jeunesse retrouvées comme un mistral enfin et vraiment gagnant. Le mécénat renoua avec les plasticiens et l’entreprise et paradoxalement une certaine forme de royauté, notamment dans l’architecture. Mais à n’en pas disconvenir, la gestion des besoins fut maitrisée et optimisée, les rebelles officialisés, certains devinrent des anthologies, d’autres prirent leurs distances comme Jean Ferrat, d’autres encore disparurent par manque d’adaptabilité ou de talent, parfois non bankable, le tout tentant de répondre à une triviale poursuite effervescente.
Que sont devenus les Annie Nobel (Valparaiso), les Patrick Abrial et ses pirates, les Tri Yann qui défendaient la culture autonome bretonne, les Gilles Servat, les François Béranger (Paris Lumière) qui faisaient toutes les scènes des fêtes populaires des mouvements et partis de gauche ? Restent un Bernard Lavilliers qui haranguait avec maestria les militants de tous partis confondus d’un « N’appartiens jamais à personne » ou « Big brother is watching you », la démagogie de Trust et de son Antisocial et son Mesrine ennemi public numéro un, Renaud et tous ses mistrals payants, un Grand Magic Circus de génie et le théâtre de Chaillot de Jérôme Savary, un Bertrand Tavernier essoufflé, un Caubert ensoleillé, une Ariane Mnoushkine, issue d’une lune ancienne tenant la jeune Lune depuis toujours dans ses bras.

 

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